Voici quatre démonstrations capables de faire impression si l’on sait bien les manier. La première est prise de l’Église primitive ; la seconde, de l’Écriture ; la troisième, de la raison ; et la quatrième, des promesses et conseils de Jésus-Christ.
Première démonstration : par l’Église primitive
On peut la résumer de cette manière : la religion qui est la plus conforme à la religion des quatre premiers siècles, reconnue pour véritable par tous les chrétiens, doit être regardée à présent comme la véritable religion : or la religion que professe l’Église romaine a l’avantage de cette conformité, à l’exclusion de toutes les autres : donc elle est véritable Religion, et la seule véritable.
La première proposition qu’on appelle majeure, ne souffre aucun doute. Voici comment comme on peut prouver la seconde qui est la mineure.
- Saint Ambroise parle ainsi à sa sœur Marcelline : « Ce matin il est arrivé un tumulte dans l’Église, à l’occasion d’un certain Castulus. Ce tumulte ne m’a point fait interrompre mes fonctions : j’ai commencé la messe, et au milieu du sacrifice, etc. [1]»
- Saint Augustin dans ses Confessions dit, qu’étant avec son frère auprès de sa mère mourante, ils lui demandèrent où elle voulait être inhumée, et qu’elle leur répondit : « Mettez mon corps où vous voudrez ; souvenez-vous seulement de moi lorsque vous serez à l’autel. » Il ajoute qu’après que sa mère eut été enterrée, « on offrit pour elle le sacrifice de notre Rédemption, suivant la coutume».
- Saint Grégoire de Nazianze écrit de sa sœur Gorgonie qu’« elle priait souvent devant l’autel où reposait le corps de Jésus-Christ. »
- Saint Léon, que Calvin même compte parmi les vrais papes, dit, prêchant le jour de Noël : « Aujourd’hui la prédication sera courte parce qu’il y a trois messes à dire. »
Cela supposé, on peut demander :
– D’où vient qu’il n’y a aucun évêque, aucun prédicateur, aucune femme catholique, aucun enfant de l’Église romaine, qui, se trouvant dans les mêmes circonstances que les Ambroise, les Monique, les Augustin, les Grégoire et les Léon, ne puisse s’exprimer de la même manière, sans que personne en soit surpris ? C’est parce que, croyant et pratiquant les mêmes choses que ces grands saints croyaient et pratiquaient de leur temps, ils peuvent parler comme eux pour exprimer ce qu’ils pratiquent encore aujourd’hui.
– Et d’où vient qu’aucun pasteur protestant, aucun membre des sectes séparées de l’Église Romaine ne pourrait tenir ce langage sans faire rire ou sans indigner tout le monde ? Si ce n’est parce que tout le monde verrait que leurs paroles ne s’accorderaient point avec leurs sentiments et leurs pratiques. Ils ne peuvent parler comme l’Église des premiers siècles, faute de conformité avec elle. Qu’ils avouent donc que la véritable religion chrétienne n’est point parmi eux, mais dans l’Eglise Romaine, qui a cette conformité qu’ils n’ont pas.
On trouve dans les anciens Pères, cités par Bellarmin, une infinité d’autres textes qui prouvent cette conformité, et qui sont autant d’arguments invincibles contre les hérétiques.
Seconde démonstration : par l’Écriture sainte
La voici en résumé : c’est à tort que les hérétiques prennent l’Écriture sainte pour garant de leur doctrine et de leur séparation si le sentiment de l’Église Romaine sur les points controversés est exprimé dans l’Écriture beaucoup plus clairement que le leur ; or le sentiment de l’Église sur les points controversés est plus clairement exprimé dans l’Écriture que celui des hérétiques ; donc ils ont tort de prendre l’Écriture pour garant de leur doctrine et de leur séparation.
La première proposition n’a pas besoin de preuve, surtout quand on parle aux hérétiques qui l’ont avancée contre l’Église Romaine comme un principe indubitable. Il ne s’agit que de prouver la seconde, non en raisonnant sur les différents textes de l’Écriture pour en tirer des conséquences : cette voie ne mène à rien, car chacun fait de son côté de beaux raisonnements pour faire paraître son esprit, et les disputes ne finissent point. Il est question de s’arrêter au texte formel de l’Écriture, de le consulter de bonne foi, pour en apprendre le sens, par le sens même qui s’offre aux yeux de tout le monde. Venons au détail.
- Nous disons que le corps de Jésus-Christ est réellement dans l’Eucharistie, les hérétiques disent qu’il n’y est qu’en figure. Nous nous appuyons sur paroles de l’Évangile : « Prenez et mangez ; ceci est mon Corps » [Mt 26, 26]. « Ma chair est véritablement une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage » [Jn 6, 56]. Ce que les hérétiques allèguent de plus fort, ce sont ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi » [Lc 22, 19]. « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair n’est d’aucun usage. Ce que je vous ai dit est esprit et vie. » [Jn 6, 64]. Tout homme qui n’est pas étrangement prévenu doit avouer que les passages sur lesquels se fonde l’Église romaine expriment clairement la présence réelle du Corps du Christ dans l’Eucharistie ; et que ceux que les hérétiques citent pour eux ne l’excluent pas, au moins clairement. Ils ont donc tort d’apporter l’Écriture pour motif de leur séparation ; puisque ce n’est pas eux que l’Écriture favorise mais l’Église dont ils se séparent.
- On en peut dire autant de la confession. Les hérétiques prétendent que ce n’est point à l’homme de remettre les péchés, et que c’est un pouvoir que Dieu n’a communiqué à personne : mais ils ne trouvent dans l’Écriture aucun texte clair et précis pour autoriser ce sentiment. L’Église au contraire n’a qu’à ouvrir l’Évangile pour y trouver des paroles qui portent la clarté et l’évidence dans les esprits. « Ceux dont vous aurez remis les péchés, leurs péchés leur sont remis ; et ceux dont vous aurez retenu les péchés, leurs péchés sont retenus» [Jn 20, 23]
- On n’a qu’à passer aux autres points de controverse pour voir toujours la même différence entre les passages cités par les hérétiques et ceux dont l’Église s’appuie. Quoi de plus clair, par exemple, que ces paroles de saint Jacques, qui autorisent l’usage du sacrement de l’Extrême-Onction: « Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les Prêtres de l’Église et qu’ils prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur ; le Seigneur le soulagera ; et s’il a commis des péchés ils lui seront remis » [Jc 5, 14-15]. Jamais les hérétiques n’ont rien pu opposer de raisonnable à une autorité si décisive.
Troisième démonstration : par la raison
C’est un raisonnement convainquant qu’on peut faire de la sorte. Lorsqu’il s’est élevé des hérésies, Dieu qui veille sur son Église lui a toujours envoyé quelque puissant secours pour les combattre. Il lui a suscité un Athanase, contre Arius ; un Augustin, contre Pelage ; un Cyrille, contre Nestorius ; et plusieurs autres en divers siècles, à mesure que de nouvelles hérésies ont succédé aux anciennes. Nous avons vu ces grands personnages lever l’étendard ; toute l’Église se joindre à eux ; combattre l’erreur avec succès ; l’étouffer ou du moins en arrêter le cours en lui faisant perdre son crédit. Or l’Église romaine, au sentiment des novateurs, est non seulement hérétique mais encore idolâtre, et elle a pour chef l’Antéchrist. Donc on aurait dû se récrier et s’armer contre elle, lorsqu’elle a commencé à introduire ses prétendues erreurs dans le monde.
Cependant rien de semblable n’est arrivé. Les hérétiques prétendent que ce n’est que depuis saint Grégoire qu’on a commencé à dire la messe et à croire que Jésus Christ fût réellement dans l’Eucharistie. Raisonnons avec eux sur ce faux principe, et demandons-leur d’où vient qu’on ne s’opposa pas immédiatement à cette croyance et à cet abus ? Bérenger est le premier que nous sachions qui ait combattu la présence réelle dans le saint Sacrement : mais il n’est venu que plus de quatre cents ans après saint Grégoire ; il s’est immédiatement rétracté et il a fait pénitence de son crime. Les Albigeois, qui sont venus après lui, n’ont duré que fort peu de temps. Est-ce que pendant plusieurs siècles, où l’on ne s’est point élevé contre la foi de l’Eucharistie et la célébration de la messe, Dieu avait abandonné son Église ? A-t-il permis que le mensonge triomphât de la vérité ?
Il y aurait de l’extravagance à raisonner de la sorte, parce que les hérétiques étant obligés de convenir que l’Église était pure et sainte lorsque cette prétendue erreur parut dans le monde, il faudrait dire que Dieu a manqué à sa promesse en l’abandonnant le premier et en la traitant comme une épouse infidèle, lorsqu’elle était encore sans tache.
Et il ne servirait de rien de dire que le mal s’est glissé insensiblement, et qu’on ne s’en est point aperçu : parce que toutes les hérésies se sont glissées de la même manière. Mais le Saint-Esprit les a découvertes et a excité la vigilance de son épouse pour les combattre et les détruire.
Ainsi donc, puisque Dieu a permis que les erreurs supposées et les prétendus abus de l’Église romaine se soient introduits sans obstacle et avec tant de facilité, il faut nécessairement avouer que ce ne sont point des erreurs et des abus, mais des vérités et des pratiques très conformes à celles de la primitive Église ; ou plutôt les mêmes vérités et les mêmes pratiques que les Apôtres ont enseignées et qu’ils ont fait passer jusqu’à nous par le moyen de leurs successeurs.
Ni Calvin, ni Luther, ni aucun autre novateur n’en peut dire autant de sa doctrine, parce qu’elle a été d’emblée combattue, et que toute l’Église s’est réunie pour la rejeter de son sein.
Quatrième démonstration : par les promesses et les conseils de Jésus-Christ
On peut la résumer ainsi :
La véritable religion est celle où se trouve l’accomplissement des promesses et des conseils de Jésus-Christ. Or ces promesses ne s’accomplissent, et ces conseils ne se pratiquent que dans la religion catholique que professe l’Église romaine ; donc cette Religion est la véritable.
Il faudrait renoncer à l’Évangile pour révoquer en doute la première proposition. Nous prouvons la seconde par le détail des promesses et des conseils
- « Pour ceux qui croiront, voici les miracles qu’ils feront ensuite : ils chasseront les démons en mon nom, etc. » [Mc 16, 17]. Il n’y a qu’à consulter la suite des siècles pour être convaincu que le don des miracles est une prérogative de la véritable Religion et une marque évidente qui la distingue de toutes les autres. Les Apôtres chassaient les démons, guérissaient les aveugles et redressaient les boiteux au nom de Jésus-Christ. Ces merveilles étaient communes parmi les martyrs. Saint Martin et saint Nicolas en ont fait autant. Saint Grégoire le thaumaturge a transporté les montagnes. Saint Benoît, qui était lui-même un thaumaturge, envoya un possédé à saint Remi qui le délivra. Quoi de plus fécond en prodiges que la vie de saint Bernard! Quel écrivain ecclésiastique n’a pas raconté les actions merveilleuses des Dominique, des Antoine de Padoue, des Nicolas de Tolentin et des Vincent Ferrier ? N’a-t-on pas vu saint François de Paule traverser la mer à pied sec ? Les hérétiques mêmes n’ont-ils pas rendu témoignage aux grands miracles de saint François Xavier, apôtre des Indes ?
Et pour dire quelque chose de plus singulier et de plus surprenant encore, qui peut ignorer en France ce qui s’est récemment passé en Poitou au sujet d’une possédée ? Celui qui faisait l’exorcisme tenait le Saint-Sacrement entre ses mains, et commanda aux démons, non seulement de laisser libre la personne qu’ils possédaient, mais encore d’imprimer sur quelque partie de son corps des marques qu’il leur détermina, pour preuves certaine de leur sortie. Il ordonna au premier de graver une croix sanglante sur le front de la possédée, et il le fit. Le second, selon l’ordre qu’il avait reçu, écrivit sur la main de la personne qu’il abandonnait, le nom de saint Joseph, qu’on avait invoqué pour sa délivrance. Le troisième y écrivit le nom de Marie ; et le quatrième, celui de Jésus, avec le nom de saint François de Sales. Ces prodiges ont été faits en présence de deux cents personnes, parmi lesquels il se trouva trois hérétiques, hommes de qualité, qui attestèrent le miracle avec serment, et dont le plus considérable fit abjuration de ses erreurs. La personne possédée fut dès lors parfaitement libre et encore aujourd’hui, c’est-à-dire après vingt ans qui se sont écoulés depuis sa délivrance, les marques gravées sur son corps paraissent aussi nettes et aussi fraîches que le premier jour : elles sont écrites de couleur de sang. Nous pouvons en rendre témoignage, parce que nous l’avons vu de nos yeux. Puisque ce pouvoir ne se trouve que dans la religion catholique, et que nulle autre n’oserait se l’attribuer, on doit conclure de là que la religion catholique est la seule qui jouisse des promesses de Jésus-Christ, et par conséquent la seule véritable [2].
- On peut faire le même raisonnement sur les conseils de Jésus-Christ. Un des principaux est celui de la continence volontaire. Notre-Seigneur l’a proposé en ces termes : « Il y en a qui se sont eux-mêmes faits eunuques pour le Royaume des Cieux» [Mt 19, 12]. Et saint Paul l’explique de cette manière, après avoir averti que sur cela il n’a point de précepte du Seigneur et qu’il ne fait que donner conseil : « Celui qui marie sa fille fait bien ; et celui qui ne la marie point fait encore mieux » [1 Co 7, 38].
Et la raison qu’il en apporte, c’est qu’une personne qui n’est pas engagée dans le mariage « donne ses soins aux choses qui regardent le Seigneur, et aux moyens de plaire à Dieu » [1 Co 7, 32]. C’est pourquoi, dit-il dans le même endroit, « êtes-vous sans femme ? n’en cherchez point » [1 Co 7, 27].
Il y a toujours eu dans l’Église grand nombre d’observateurs de ce conseil. Saint Chrysostome et les autres Pères parlent avec éloge de plusieurs moines qui faisaient profession publique de garder la continence. Saint Augustin, après son baptême, répondit à sa mère qu’il voulait désormais vivre sans femme. Saint Jérôme, saint Chrysostome, saint Ambroise, saint Épiphane et plusieurs autres grands personnages ont vécu dans le célibat. On ne saurait prouver qu’aucun prêtre ni évêque, dans les premiers temps de l’Église, ait vécu avec sa femme, s’il en avait une lorsqu’il a été ordonné, ni qu’il en ait pris une après être entré dans le sacerdoce. Depuis Jésus-Christ, il y a eu dans tous les siècles des vierges consacrées à Dieu : et nous avons une lettre de saint Augustin à une supérieure de religieuses, où il dit qu’à sa première visite il verra si on observe les ordonnances qu’il a faites. On ne voit aucun vestige de cette continence volontaire parmi les prétendus Réformés et les autres novateurs de ces derniers siècles.
Le conseil de la pauvreté évangélique est contenu dans ces paroles : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres » [Mt 19, 21]. « Quiconque de vous ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple » [Lc 14, 33]. Tout le monde sait que les premiers chrétiens n’avaient rien en propre, et qu’ils commençaient par vendre leurs biens, pour en mettre le prix aux pieds des Apôtres. Saint Paulin qui vivait du quatrième au cinquième siècle, pour se conformer à cette doctrine, abandonna des biens immenses et ne se réserva rien. Carloman, fils de Charles Martel et frère de Pépin, roi de France, quitta son royaume pour embrasser la pauvreté volontaire au Mont-Cassin. Jacques, roi de Majorque, en fit autant, pour entrer dans l’Ordre de saint François.
Casimir, fils d’un roi de Pologne, et Henri, fils de Louis le Gros, entrèrent dans l’Ordre de saint Bernard ; et nous avons vu dans ce siècle un Duc de Modène quitter ses États pour vivre en pauvre religieux dans un monastère de franciscains. Une infinité de personnes de l’un et de l’autre sexe ont suivi ces grands exemples, et les suivent encore aujourd’hui. Les Religions contraires à la nôtre ne pratiquent rien de semblable : c’est donc en vain qu’elles se vantent d’être la véritable Église, puisqu’elles n’en ont pas les marques, je veux dire la sainteté et la perfection que Jésus-Christ a enseignée à ses disciples.
Nous ne saurions donner ici plus d’étendue à ces raisonnements ; mais nous en avons assez dit pour faire comprendre qu’ils sont sans réplique et que les hérétiques ne peuvent pas résister à de si puissantes armes, pour peu qu’on sache s’en servir.
d’après le père Jean-Joseph Surin S.J., 1600-1665,
Catéchisme spirituel de la perfection chrétienne, 1657, t. 2e, ch. 7.
Sur le même sujet :
- Articles sur le protestantisme ;
- Du Protestantisme à l’Eglise du Christ.
[1] — Saint Ambroise, 13e lettre à Marcella.
[2] — Le père Surin écrivait au 17e siècle. Depuis, des milliers de miracles ont été opérés pour confirmer les apparitions mariales de la rue du Bac (1830), Lourdes (1858) et Fatima (1917), ou par l’intermédiaire des grands thaumaturges que furent saint Jean-Marie Vianney, saint Jean Bosco, saint Charbel, le frère André de Montréal, le Padre Pio, etc. Des enquêtes très rigoureuses ont permis d’authentifier solennellement nombre de ces miracles alors que les prodiges invoqués par certaines sectes protestantes échappent à toute vérification sérieuse.