par Joseph et Augustin Lémann
Que renferme le Talmud dans ses douze volumes in folio, et quel a été son rôle au sein de l’école juive ?
Forts de ce que nous avons lu et dans ce livre et dans l’histoire, nous posons, sans crainte d’être démentis, cette double assertion.
- La première, que le Talmud est un livre plein de questions scientifiques, cérémonielles et casuistiques, mais vide, ou à peu près vide, de questions dogmatiques et surtout messianiques.
- La deuxième, que dans ce livre ont été concentrées et comme parquées les écoles juives durant tout le Moyen Age.
Il y eut un temps dans notre histoire, où, sauf la lecture de la Thora, s’occuper de la Bible fut réputé chose indifférente.
Il y eut un temps où, sous la pression incessante des Talmudistes, on vit le génie littéraire du peuple hébreu, ce beau génie qui s’était appelé Isaïe, Amos, Joël, changer tout à coup de direction, quitter, comme un grand fleuve qu’on veut tarir, le lit majestueux que Dieu lui avait fait, et où il coulait depuis quarante siècles, abandonner ces rives fortunées de la Bible, les collines de Gabaa et les champs de Saron, pour se perdre dans l’aridité des sables, dans les questions vétilleuses du Talmud.
Plus de larges horizons, plus de nobles frémissements sur les hauteurs. Ce peuple ne s’occupera désormais que de questions de viandes pures ou impures, de souillures contractées ou lavées, de minuties sabbatiques, et de calendrier. Les Pères de l’Église ont vu tout cela, et leur compassion était grande :
Au lieu de vous exposer le sens des prophéties, leur disait l’un d’eux, vos maîtres s’abaissent à des niaiseries ; ils s’inquiètent beaucoup de savoir pourquoi il est parlé de chameaux mâles dans tel ou tel endroit, pourquoi telle quantité de farine ou d’huile entre au juste dans vos oblations. Ils recherchent avec un soin religieux pourquoi un alpha fut ajouté au nom primitif d’Abraham, et un rau à celui de Sara. Voilà l’objet de leurs investigations. Quant aux choses importantes vraiment dignes d’étude, ils n’osent pas vous en parler, ils n’entreprennent pas de les expliquer ; ils vous défendent de nous écouter quand nous les interprétons [1].
[Les abbés Lémann analysent quelques prescriptions talmudiques sur les ablutions et le sabbat. Ils concluent par deux citations.]
Subtilités interminables et ridicules, c’est dans leurs replis qu’on fit s’engager les esprits. On comprend qu’ils s’y abaissèrent. Les jeunes rabbins élevés à pareille école en reçurent l’empreinte indélébile. De cet impitoyable laminoir leur esprit ressortit aplati, mais endurci, avec un tour particulier qui ne leur permettait plus de penser et de sentir comme les autres hommes [2].
Aussi est-ce avec justice qu’un israélite résumant et dénonçant notre situation intellectuelle au Moyen Age, a pu écrire dernièrement :
C’est aux talmudistes que dans leur exil, les Juifs doivent l’étouffement de tout esprit d’indépendance spirituelle, et toute raison philosophique… depuis que le Talmud, ce livre de plomb, pèse sur Israël, les Juifs n’ont plus d’histoire [3].
Pour être complet, il n’aurait eu qu’à ajouter : et surtout plus de question messianique. Oui, depuis que ce livre de plomb pèse sur Israël, les Juifs n’ont plus de question messianique. Ce que le Ghetto a été à nos corps, le Talmud l’a été à nos intelligences : il les a enserrées. Il fallait empêcher le peuple de retourner aux prophéties, on y a réussi. Sombre, mais savante diversion, le Talmud, en résumé, n’est pas autre chose.
Augustin et Joseph Lémann, La Question du Messie et le Concile du Vatican, Paris, 1869.
[1] – Dialogue de saint Justin avec Tryphon, Migne PG IV, 456.
[2] – Albert Réville, Le peuple juif et le Judaïsme au temps de la formation du Talmud.
[3] – Alexandre Weil, Moïse et le Talmud, p. 338.