Juin 29

Le protestantisme, né de la folie, mène à la folie

Le délire et le fanatisme sont dans le protestantisme comme dans leur élément naturel.

On pourrait, pour le prouver, remplir de gros volumes. Je me limite à un rapide aperçu, fondé sur le simple témoignage des faits.

Luther discute avec le diable

Je commence par Luther. Est-il au monde une plus grande folie que de prétendre avoir été enseigné par le Diable, de s’en glorifier et d’établir une doctrine nouvelle sur cette puissante autorité ? C’est pourtant ce qu’a fait le fondateur du protestantisme, Luther lui-même, qui a consigné dans ses ouvrages le témoignage de son entrevue avec Satan.

Que l’apparition ait été réelle ou qu’elle ait hanté les rêves d’une nuit agitée par la fièvre, il est impossible de porter plus loin le fanatisme que de se vanter d’avoir eu un tel maître.

Luther nous dit lui-même qu’il eut plusieurs colloques avec le Diable. Le plus remarquable est cette vision, qu’il raconte fort sérieusement, où Satan le pressa d’arguments contre la messe que les prêtres célèbrent sans assistance. Luther nous peint vivement cette aventure. Il se réveille au milieu de la nuit, Satan lui apparaît. Luther est saisi d’horreur. Il sue, il tremble, son cœur bat d’une manière horrible. La discussion s’engage cependant. Le Diable se montre si bon dialecticien que Luther reste vaincu, sans réponse. La logique du Diable était accompagnée d’une voix si effrayante que le sang du pauvre Luther se glaçait dans ses veines :

« Je compris alors, dit-il, comment il arrive souvent que des personnes meurent au point du jour : c’est que le Démon peut tuer ou étouffer les hommes et, sans aller jusque là, il les met, lorsqu’il dispute contre eux, dans de tels embarras qu’il peut ainsi causer leur mort : c’est ce que j’ai souvent éprouvé moi-même. »

Ce passage est assurément curieux.

Zwingli aidé par un fantôme

Autre extravagance : le fantôme qui apparaît à Zwingli, fondateur du protestantisme en Suisse. Cet hérésiarque voulait nier la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie. Il prétendait que le pain et le vin consacrés ne sont rien de plus qu’un signe du corps et du sang du Christ. Il était pourtant embarrassé par l’autorité du texte sacré, qui exprime clairement le contraire. Et voilà que tout à coup, au moment où il imaginait une discussion avec le secrétaire de la ville, un fantôme blanc ou noir, ainsi qu’il dit lui-même, lui apparaît, et lui apporte l’explication désirée.

Ce beau récit nous vient de Zwingli lui-même.

Superstitions de Mélanchton

Mélanchton se montre étrangement crédule à l’endroit des songes, des phénomènes extraordinaires et des pronostics astrologiques. Ses lettres en sont remplies. Au moment de la diète d’Augsbourg, Mélanchton regarde comme des présages favorables au nouvel Évangile une inondation du Tibre, la naissance d’un mulet monstrueux avec un pied de grue, à Rome, et celle d’un veau à deux têtes dans le territoire d’Augsbourg. Ces événements sont pour lui l’annonce indubitable de la prochaine ruine de Rome et du triomphe du protestantisme. Il écrit tout cela sérieusement à Luther.

Lui-même tire l’horoscope de sa fille, et il tremble pour elle, parce que Mars présente un aspect terrible. Il est aussi épouvanté de la flamme d’une comète apparaissant aux limites du septentrion. Les astrologues avaient pronostiqué qu’en automne les astres seraient plus favorables aux disputes ecclésiastiques ; ce pronostic suffit pour le consoler de la lenteur des conférences d’Augsbourg ; ses amis, chefs du parti protestant, se laissent d’ailleurs dominer par les mêmes puissantes raisons.

On prédit à Mélanchton qu’i1 fera naufrage dans la Baltique ; il se garde d’y embarquer. Certain Franciscain s’était avisé de prophétiser que le pouvoir du pape allait disparaître ; le moine ajoutait qu’en l’an 1600 le Turc deviendrait maître de l’Italie et de l’Allemagne : Mélanchton se glorifie d’avoir en sa possession la prophétie originale ; d’ailleurs, les tremblements de terre qui surviennent le confirment dans sa croyance.

Fanatisme de l’anabaptisme

Refusant l’autorité de l’Église, l’esprit humain s’érige en juge unique de la foi. Immédiatement, l’Allemagne est inondée de sang. Mathias Harlem, protestant anabaptiste, prend la tête d’une troupe féroce, ordonne de saccager les églises, de mettre en pièces les ornements sacrés, de brûler comme impies ou inutiles tous les livres, à l’exception de la Bible.

Établi à Munster, qu’il appelle la Montagne de Sion, il fait apporter devant lui tout l’or, tout l’argent et les pierres précieuses que possèdent les habitants. Il les dépose en un trésor commun, et nomme des diacres pour en faire la distribution. Tous ses disciples sont obligés de manger en commun, de vivre dans une égalité parfaite et de se préparer à la guerre qu’ils auront à entreprendre, car ils devront, dit-il, quitter la Montagne de Sion, pour soumettre toutes les nations de la terre à son pouvoir. Il meurt dans une tentative téméraire, voulant, en nouveau Gédéon, exterminer toute une armée avec une poignée d’hommes.

Les délires de Jean de Leyde

Bécold, plus connu sous le nom de Jean de Leyde, est l’héritier du fanatisme de Mathias. Tailleur de son métier, il se met à courir tout nu dans les rues de Munster en criant : Voici venir le roi de Sion ! Il entre dans sa maison, s’y enferme pendant trois jours. Lorsqu’on vient s’enquérir de lui, il fait semblant de ne plus pouvoir parler. Comme un nouveau Zacharie, il demande par signes de quoi écrire. Il écrit alors qu’il a reçu une révélation de Dieu : le peuple, à l’imitation du peuple d’Israël, doit être gouverné par des juges. Il nomme douze juges, choisissant les hommes qui lui sont le plus attachés. Il se retire alors prudemment, laissant ces nouveaux magistrats s’emparer de la ville. Lorsque leur pouvoir est reconnu, son autorité de nouveau prophète est assurée ; mais cela ne lui suffit pas ; il veut être environné de pompe et de majesté, en se faisant proclamer roi. Le fanatisme de ses partisans est tellement aveugle qu’il y parvient facilement. Il s’entend avec un orfèvre et l’initie à l’art de prophétiser. Celui-ci se présente devant les juges d’Israël et leur déclare :

Voici ce que veut le Seigneur Dieu, l’Éternel : De même qu’en d’autres temps j’ai établi Saül sur Israël, et après lui David, qui n’était qu’un simple berger, de même j’établis aujourd’hui mon prophète, Bécold roi de Sion.

Les juges refusent d’abdiquer. Bécold leur annonce alors qu’il a eu la même vision. Il l’a cachée par humilité, mais Dieu ayant parlé par un autre prophète, il doit se résigner à monter au trône, et accomplir les ordres du Très-Haut. Les juges se laissent difficilement convaincre. Le peuple est convoqué sur la place du Marché. Là, un « prophète » présente à Bécold, de la part de Dieu, une épée nue : elle symbolise le pouvoir de justice qui lui est conféré sur toute la terre, pour étendre aux quatre coins du monde l’empire de Sion. Il est proclamé roi et couronné solennellement le 24 juin 1534.

Bécold avait épousé la femme de son prédécesseur. Il l’élève à la dignité royale et lui réserve le privilège de reine, mais il a en même temps jusqu’à dix-sept femmes, pour se conformer à la sainte liberté qu’il a proclamée en cette matière. Ses seize mois du règne ne seront qu’un enchaînement de crimes, orgies, assassinats, atrocités et délires de toute espèce.

Les catholiques dénoncent ces horreurs. Les protestants se plaignent aussi. Mais à qui la faute ? Qui donc a rejeté l’autorité de l’Église et livré la Bible à la populace, en lui faisant tourner la tête et en la précipitant dans ces folies criminelles ? Les Anabaptistes eux-mêmes le voient très clairement. Lorsque Luther les condamne, ils sont saisis d’une violente indignation. De quel droit celui qui a établi le principe veut-il en arrêter les conséquences ?

Luther, trouvant dans la Bible que le Pape était l’Antéchrist, s’arrogeait la mission de détruire son autorité. Il exhortait tout le monde à s’unir contre lui. Pourquoi les Anabaptistes ne pouvaient-ils pas à leur tour recevoir de Dieu l’ordre d’exterminer tous les impies pour établir un règne nouveau dans lequel ne subsisteraient plus que les hommes pieux, devenus maîtres de toutes choses ?

Épidémie de folie protestante

Herman prêche le massacre de tous les prêtres et de tous les magistrats du monde. — David George prétend apporter une doctrine parfaite, car celle de l’Ancien et du Nouveau Testament était imparfaite : il est le vrai fils de Dieu. — Nicolas rejette la foi et le culte comme inutiles ; il démolit aussi la morale en enseignant qu’il est bon de persévérer dans le péché afin que la grâce puisse abonder. — Hacket prétend que l’esprit du Messie est descendu sur lui ; il envoie deux de ses disciples crier par les rues de Londres : Voici venir de ce côté le Christ, un vase à la main !

Tous ces déplorables spectacles, cent autres que je pourrais rappeler, ne prouvent-ils pas assez évidemment que le système protestant nourrit et avive un terrible fanatisme ?

Venner, Fox, William Sympson, J. Naylor, le comte Zinzendorf, Wesley, le baron de Swedenborg, et autres noms semblables suffisent pour rappeler un ensemble de sectes si extravagantes et une suite de crimes tels, qu’il y aurait de quoi en écrire des volumes.

Je n’ai point fait de fiction je n’exagère point ; ouvrez l’histoire, consultez les auteurs, je ne dis pas seulement catholiques, mais protestants ou quels qu’ils soient : vous trouverez partout une multitude de témoins qui déposent de la vérité de ces faits ; faits bruyants qui se sont passés à la lumière du soleil, dans de grandes capitales, dans des temps qui touchent presque aux nôtres.

Et qu’on ne croie pas que cette source d’illusion et de fanatisme ait été épuisée par le cours des siècles. Il ne paraît pas qu’elle soit près de tarir…

d’après Jacques Balmès,
Le Protestantisme comparé au Catholicisme (1844), ch. 7.

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