Le mal du jour est celui-ci : que la ligne de démarcation tend de plus en plus à s’effacer entre chrétiens et non-chrétiens, entre chrétiens et hérétiques et même idolâtres.
Ceux qui se disent encore chrétiens vivent trop souvent comme ceux qui ont renoncé à ce titre ; les femmes soi-disant dévotes portent les mêmes toilettes que les incroyantes, elles lisent les mêmes romans, elles fréquentent les mêmes bals, les mêmes théâtres licencieux, elles ne jeûnent pas et ne se mortifient pas davantage. C’est la confusion dans la mondanité et la licence.
De plus, une doctrine téméraire tend à prévaloir : qu’on se sauve facilement dans toutes les religions, qu’une bonne foi quelconque tient lieu de la foi, qu’en fin de compte tout le monde, ou à peu près, est sauvé [1].
Par suite de ces maximes et de ces mœurs, l’Église tend à se dissoudre dans le monde, la chrétienté dans l’humanité déchue. On ne trouve presque plus de chrétiens auxquels on puisse appliquer les paroles de saint Paul :
« Soyez fils de Dieu tout d’une pièce [2], sans reproche au milieu d’une nation dépravée et perverse, parmi laquelle vous luisez comme des flambeaux en ce monde. » (Ph 11, 15)
Les premiers chrétiens, par leur conduite, tranchaient sur les païens comme des flambeaux sur un fond obscur, et le spectacle de leurs vertus austères attirait puissamment les idolâtres à la foi. C’est ce qui ne se voit pas aujourd’hui, sauf des exceptions trop rares ; tout est confondu dans le même laisser-aller sceptique et viveur.
Le remède à ce mal, c’est le rétablissement de la ligne de démarcation effacée, c’est la reconstitution d’un peuple nouveau, vraiment chrétien, qui soit, dans le monde, un exemplaire vivant des maximes évangéliques.
Dom Bernard Maréchaux O.S.B. (1849-1927)
(dans « La vénérable Élizabeth Canori Mora »,
La Vie spirituelle, 1928, p. 495-496).
[1] — Elle est évidemment apparentée au modernisme, qui défigure la notion de la foi en la confondant avec le sentiment religieux naturel. (Note de Dom Bernard Maréchaux.)
[2] — Nous croyons pouvoir traduire ainsi le mot : Simplices filii Dei. (Note de Dom Bernard Maréchaux.)