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Un pasteur face à l’anarchie doctrinale du protestantisme
Krogh-Tonning est né en 1842 à Stathelle, en Norvège. Après de brillantes études, il devient pasteur protestant de l’Église d’État et professeur à l’Université de Christiania.
Ses ouvrages deviennent célèbres dans le monde luthérien, notamment son recueil intitulé : Témoignages des Pères de l’Église, en dix-sept tomes.
Mais les divisions doctrinales qui déchirent le protestantisme, le troublent. Il déplore l’absence d’une autorité qui pût arrêter l’anarchie des croyances.
Regardant autour de lui sa propre Église (luthérienne), il écrit :
L’Église luthérienne confesse sa croyance en la Sainte Trinité, mais admet la négation de ce dogme fondamental.
Elle reconnaît la divinité du Christ, mais permet qu’on la nie.
Elle prêche la croyance au péché originel, mais ne défend point à ses serviteurs de le nier.
Elle confesse la rédemption par le Christ. On nie ce dogme et l’Église luthérienne comme telle, se tait. Elle confesse la résurrection du Christ, mais permet à ses serviteurs de la nier.
La doctrine officielle, jadis reconnue, de l’inspiration de la Bible, sera bientôt reléguée parmi les légendes. La doctrine également officielle, de l’effet réel, mystique des sacrements, s’évanouit en vains symboles, et l’Église luthérienne se tait !
Elle confesse la croyance dans les miracles sur lesquels repose tout le christianisme. Nombre de ses serviteurs en nient la possibilité, et l’Église luthérienne se tait !
La liberté qu’on réclame et qui est, en fait, accordée, c’est le droit de nier tout ce qu’il y a de spécifiquement chrétien, et de passer, néanmoins, en même temps, pour membre de cette Église chrétienne ! Le vrai fruit de ce mouvement libertaire, c’est la libre pensée et une déchristianisation de plus en plus grande des peuples. En fait, parmi toutes les confessions plus considérables, il n’en existe qu’une seule qui conserve d’une manière positive et conforme à ses préceptes la foi chrétienne entière et complète, et cette confession, c’est l’Église catholique. »
Découverte du vrai Luther
L’inquiétude religieuse du pasteur grandit encore lorsqu’il se met à étudier Luther dans Luther lui-même.
J’étudiai les écrits de Luther comme les sources authentiques de l’histoire de la Réforme, écrit le Dr Krogh-Tonning dans ses Mémoires [1], et j’y trouvai quantité de choses qui provoquèrent ma répulsion. C’est surtout dans ses principes moraux que je rencontrai matière à mes plus vives répugnances. Son sermon Sur la vie conjugale était pire que je n’avais pensé, et produisit en moi la plus vive indignation. J’étais accoutumé, il est vrai, à la règle que, lorsqu’il s’agissait de Luther, il fallait tout interpréter pour le mieux, tandis que vis-à-vis de ses adversaires on voulait tout interpréter pour le pis.
Il fallait (pensai-je) excuser Luther jusqu’à l’extrême. Mais trouver des excuses aux principes moraux proclamés dans cet étrange sermon, c’est ce qui me fut absolument impossible, malgré la meilleure volonté du monde. Et le principe précité — tout interpréter pour le mieux — ne pouvait pourtant pas contenir l’obligation de rendre blanc ce qui était noir, par respect pour Luther, et d’appeler bon ce qui est mauvais. Aussi l’écrit en question devint-il pour moi une sorte de Schibboleth [2], qui me servit de pierre de touche pour constater si les gens étaient capables d’une conception historique objective de Luther. Souvent j’hésitai à mettre ainsi à l’épreuve des personnes dont il me coûtait de mettre en doute la bonne foi. Car si, après avoir lu ce sermon, elles défendaient quand même la morale de Luther, je me serais vu forcé de les considérer comme des adorateurs si aveuglés de Luther qu’il ne pouvait plus être question de respecter la vérité historique. »
Il avait alors un portrait de Luther dans son cabinet de travail. Après avoir étudié l’attitude du réformateur dans l’ignoble affaire de la bigamie du landgrave Philippe de Hesse, il décrocha ce portrait et le jeta avec horreur.
Mais il ne voyait pas encore la nécessité de se faire catholique. Quand il y songea, il vit se dresser devant lui de terribles obstacles. C’était en 1899. Il était depuis trente-trois ans ministre de l’Église d’État. Renoncer à sa religion et à sa carrière, c’était se condamner avec sa femme et ses enfants à la misère. Il n’hésita pas cependant à suivre l’appel de sa conscience. Il partit pour le Danemark. Il s’adonna à l’étude et à la prière au collège des Jésuites à Aarhus. Le 13 juin 1899, il y faisait sa profession de foi catholique.
Cette nouvelle produisit une profonde émotion dans son pays. Mais Krogh-Tonning garda l’estime de ses anciens coreligionnaires. Il consacra sa plume à la vérité catholique en de nouveaux ouvrages : L’année religieuse ; Les souvenirs d’un converti ; Sainte Brigitte de Suède, etc.
Il mourut à Oslo, le 19 février 1911.
[1] Knud KROG-TONNING, En Konvertits Erindringer [Souvenirs d’un converti], Copenhague, 1906.
[2] Schibboleth : mot que les Éphraïmites ne parvenaient pas à prononcer correctement et que les Galaadites employaient donc comme test pour les repérer (Voir Livre des Juges, ch. 12).