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Un grand héritier juif
Alphonse de Ratisbonne est le fils et l’héritier d’une famille de banquiers juifs de Strasbourg. Lorsqu’il était encore enfant, son frère aîné Théodore, s’est converti au Catholicisme. Il a même été ordonné prêtre. La famille a réagi avec hostilité et horreur. Alphonse a résolu de ne plus jamais communiquer avec son frère et développé une antipathie violente envers la foi catholique. Bien qu’athée, il éprouve un grand amour et une grande loyauté à l’égard de son peuple. Il prodigue ses efforts et son argent pour améliorer la condition sociale des Juifs moins favorisés.
A vingt-sept ans, Alphonse se fiance et note alors un changement subtil dans ses sentiments religieux.
Un certain changement m’est venu dans mes pensées d’ordre religieux. Je ne croyais en rien ; la vue de ma fiancée éveilla en moi un sentiment de dignité humaine. Je commençai à croire en l’immortalité de l’âme ; instinctivement, je commençai à prier Dieu ; je le remerciais pour ma bonne fortune ; mais néanmoins, je demeurais insatisfait…
Sa fiancée n’ayant que seize ans, on trouva approprié de retarder le mariage. Pour passer le temps, Alphonse fait un voyage touristique en Italie (1841-1842).
Un curieux défi
Après Naples, il fait étape à Rome. Il y rend visite au baron Théodore de Bussières, le frère d’un de ses meilleurs amis. La conversation vient sur la religion. Ratisbonne multiplie les moqueries et les attaques contre l’Église. Finalement, le baron lui lance un curieux défi : porter la Médaille miraculeuse (donnée par la sainte Vierge à Catherine Labouré, le 27 novembre 1830, lors d’une apparition au couvent de la rue du Bac à Paris), et réciter une courte prière quotidienne à Marie [1].
Le jeune Juif accepte à contre cœur : c’est pour lui une façon de prouver l’inanité de ces « superstitions détestables ».
Le 20 janvier 1842, dernier jour de son séjour prévu à Rome, Ratisbonne entre par hasard dans l’église Sant’Andrea delle fratte. Il raconte :
J’étais depuis un instant dans l’église, lorsque tout d’un coup je me suis senti saisi d’un trouble inexprimable. J’ai levé les yeux ; tout l’édifice avait disparu à mes regards ; une seule chapelle avait, pour ainsi dire, concentré toute la lumière, et au milieu de ce rayonnement, apparut debout, sur l’autel, grande, brillante, pleine de majesté et de douceur, la Vierge Marie, telle qu’elle est sur ma médaille ; une force irrésistible m’a poussé vers elle. La Vierge m’a fait signe de la main de m’agenouiller, elle a semblé me dire : c’est bien ! Elle n’a point parlé, mais j’ai tout compris.
Au même instant, Alphonse se sent libéré de son aveuglement :
Au moment du geste, le bandeau tomba de mes yeux ; non pas un seul bandeau, mais toute la multitude de bandeaux qui m’avaient enveloppé disparurent successivement et rapidement, comme la neige et la boue et la glace sous l’action d’un brûlant soleil…
Je me trouvais en quelque sorte comme un être nu, comme une table rase. Le monde n’était plus rien pour moi ; les préventions contre le christianisme n’existaient plus ; les préjugés de mon enfance n’avaient plus la moindre trace ; l’amour de Dieu avait pris la place de tout autre amour.
Au début, il avait été capable d’apercevoir clairement l’apparition. Mais il ne pouvait supporter très longtemps la brillance de cette lumière divine. Par trois fois, il essaya de lever les yeux sur elle, et par trois fois il se trouva incapable de regarder plus haut que ses mains, dont grâces et bénédictions semblaient tomber comme autant de rayons lumineux.
Ô mon Dieu, s’écria-t-il, il y a seulement une demi-heure, j’étais en train de blasphémer et je ressentais une haine mortelle contre la religion catholique ! Tous ceux qui me connaissent savent bien qu’humainement parlant, j’avais les plus fortes raisons pour rester juif. Ma famille est juive, ma fiancée est juive et mon oncle est juif. En me faisant catholique, je sacrifie tous mes espoirs et mes intérêts terrestres. Pourtant, je ne suis pas fou.
Onze jours plus tard (31 janvier 1842), Alphonse recevait le baptême, la confirmation et la première communion.
Peu après, ayant rompu ses fiançailles, il entra dans la vie religieuse et fut ordonné prêtre. Il passa le reste de ses jours à travailler et à prier pour la conversion de son peuple. Il s’installa en Terre sainte et, avec son frère Théodore, fonda un ordre dont la mission était de prier pour la conversion des Juifs. Il fit construire un couvent sur le site du palais de Pilate, l’endroit même où le gouverneur romain montra Jésus flagellé et sanglant à la foule, suggérant qu’il soit relâché, et où les Juifs crièrent : « Crucifie-le ! Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » (Mt 27, 25).
Le père Marie-Alphonse de Ratisbonne mourut en 1884, à Ain Karem (lieu de naissance de saint Jean Baptiste, près de Jérusalem).
[1] Le Souvenez-vous de saint Bernard (prière à la sainte Vierge Marie) :
Souvenez-vous, ô très miséricordieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection, imploré votre assistance, réclamé votre secours, ait été abandonné.
Animé d’une pareille confiance, ô Vierge des vierges, ô ma mère, je viens vers vous et, gémissant sous le poids de mes péchés, je me prosterne à vos pieds.
Ô Mère du Verbe incarné, ne méprisez pas mes prières, mais écoutez les favorablement et daignez les bénir et les exaucer.
Ainsi soit-il.