Août 2

A quoi ressemblerait une religion fondée par Dieu ?

Supposons que Dieu ait voulu faire, avec une puissance et une sagesse divines, ce qu’ont fait, avec leurs lumières et leurs forces humaines, les fondateurs humains des diverses religions. Ne pouvons-nous pas prévoir d’avance les traits principaux de cette œuvre divine ?

  1. Fondée par le Créateur du cœur humain, cette religion devra satisfaire tous nos instincts religieux d’une manière absolument universelle et plus profonde que toutes les autres ; elle devra donc contenir dans son sein tous les éléments des autres religions ; elle devra posséder une sorte d’universalité reproduisant en elle-même tout ce qui est bon et vrai ailleurs, et n’excluant que ce qui est contraire à la vérité, à la morale, à la perfection de l’idéal religieux.
  2. Œuvre de l’Intelligence suprême et infinie, elle ne pourra contenir en elle-même aucune contradiction véritable. En rassemblant les éléments des différents cultes, elle devra les unir d’une manière rationnelle et harmonique. S’ils s’opposent par certains côtés, ils trouveront en elle un accord parfait où ils se modéreront et se limiteront mutuellement.
  3. Créée par la source de toute vie, la religion divine ne sera pas un assemblage artificiel de divers éléments religieux, mais une institution vivante se développant de façon organique et produisant elle-même tous ses éléments, comme l’être vivant produit ses cellules et ses organes.
  4. Enfin, parce qu’elle est vivante, la religion divine devra croître et se développer. Si elle est destinée à l’humanité entière, elle doit durer autant que le genre humain ; elle doit être perpétuellement jeune et toujours prête à se relever lorsqu’elle a reçu quelque atteinte du dehors, ou lorsque le relâchement et la corruption d’une partie de ses fidèles ont terni son éclat et sa gloire.

Essayons d’appliquer ces quatre caractères : universalité, harmonie, vie et développement progressif, au christianisme et aux autres religions.

Nous devons, pour cette étude, considérer le christianisme sous sa forme la plus complète et la plus élevée qui est la religion catholique. Les autres sectes chrétiennes ne contiennent qu’une partie des éléments du catholicisme et ne possèdent pas cette unité vivante qui le caractérise. En outre, le protestantisme dédaigne ou rejette les formes extérieures de la religion. Il les considère comme des éléments étrangers à l’idée primitive de l’Évangile. Ce n’est pas le lieu de montrer qu’ils ont tort, et que la liturgie fait partie du christianisme primitif. Mais il était nécessaire que nous signalions cette divergence entre le protestantisme et la religion catholique, pour montrer le motif qui nous oblige à choisir la religion catholique, et non l’ensemble des communautés qui prennent le nom de chrétiennes, pour objet de notre étude et de notre démonstration.

1. Religion universelle

Quelle est la religion vraiment universelle, dont les doctrines et les rites répondent à tous les bons instincts du cœur humain ?

  • Ce n’est pas le polythéisme antique, auquel manque la grande idée du Dieu créateur qui anime les cultes monothéistes.
  • Ce n’est pas le judaïsme, religion locale et nationale.
  • Ce n’est pas l’islam, dont l’idéal moral est assez bas et qui réduit le sentiment religieux à la crainte sans amour.
  • Ce n’est pas le bouddhisme qui détruit l’idée de Dieu et propose le néant comme béatitude suprême.

Mais si nous considérons le christianisme sous sa forme parfaite, celle que lui a donnée son auteur, sous la forme catholique, nous y trouvons précisément cette universalité de doctrine que nous cherchons.

Nous y trouvons le même monothéisme que dans la religion de Moïse, la même prescription du culte exclusif du Créateur. Comme dans le judaïsme et le mahométisme, c’est un Dieu invisible que les chrétiens adorent. Aucune trace de paganisme ou d’idolâtrie. Et pourtant, la révélation des mystères chrétiens modifie l’austérité du culte de Yahvé.

  • D’abord, son unité, sans être diminuée, s’entrouvre pour ainsi dire pour manifester la société des trois personnes qui subsistent en elle. Dieu est unique, mais il n’est pas solitaire. Il est un, sans être privé de famille et de compagnie. Il connaît de toute éternité, à l’intérieur de son unique substance, la joie du don et du partage.
  • De plus, une de ces personnes divines se rapproche des hommes au point de prendre elle-même une âme et une chair humaines. Elle offre à l’humanité la Divinité invisible sous une chair visible, qui lui appartient en propre et qui n’est pas un simple symbole.

Le polythéisme antique manifestait, dans ses dérives, un des besoins du cœur humain : un Dieu plus proche des hommes. Sans rien renier du monothéisme – qui est même renforcé par la révélation de la Trinité, car Dieu apparaît encore plus transcendant – le christianisme fait droit à ces attentes. Dieu nous ouvre le secret de sa vie intime et, en s’incarnant, se présente sous forme visible à ses fidèles.

Ce n’est pas tout. Un grand nombre des formes et des usages des cultes de l’antiquité grecque et de l’Orient trouvent place dans la liturgie et la discipline catholique.

  • Le sacrifice est, comme dans l’antiquité, le centre de la religion, mais à un niveau supérieur, plus spirituel.
  • Le culte des images rappelle les formes extérieures des cultes anciens, tout en les libérant de toute idolâtrie.
  • L’ascétisme, en usage dans l’Inde, se retrouve dans la vie monastique catholique.
  • Le célibat est conseillé, comme dans le bouddhisme, mais sans rien ôter à la sainteté du mariage.
  • Jésus-Christ remplit aux yeux des chrétiens ce rôle d’homme idéal, de libérateur, de docteur, que l’on rencontre dans plusieurs des grandes religions.
  • Le sacerdoce et son autorité, la hiérarchie avec un chef suprême qui existent dans un grand nombre de cultes, se retrouvent encore dans la religion catholique.

On peut dire, en un mot, que toutes les formes religieuses – sauf celles qui sont intrinsèquement immorales et absurdes, comme la prostitution sacrée ou le culte des animaux – se retrouvent dans cette religion, qui est ainsi adaptée à toutes les aspirations du cœur humain.

Ce que nous disons en ce moment n’est, en général, pas contesté. Tout au contraire, c’est le thème habituel des accusations contre l’Église catholique.

  • Les protestants l’accusent d’avoir restauré le paganisme et de s’être ainsi écartée du véritable esprit de l’Évangile.
  • Certains rationalistes, de leur côté, concèdent que le catholicisme est le vrai christianisme, mais concluent qu’il n’est qu’une copie des religions anciennes, ou du moins une religion de même espèce.

Nous répondons ailleurs à ces objections ; mais leur existence même prouve ce que nous sommes en train d’expliquer. Tous les éléments qui constituent la religion en général, et qui se trouvent dispersés dans les divers cultes, se trouvent réunis et concentrés dans la religion catholique.

Il en résulte que l’on peut dire d’une religion quelconque, fût-ce le fétichisme ou le culte des esprits, qu’elle est un fragment ou une déformation du catholicisme, qui est le type universel auquel on peut rapporter tous les cultes.

Observons maintenant que ce caractère d’universalité n’appartient, parmi les cultes historiques, qu’à la religion catholique, et qu’on ne peut l’attribuer à aucune autre religion.

  • Si l’on choisissait l’islam, par exemple, comme type universel des religions, le type serait trop étroit; les cultes païens et le bouddhisme athée, n’auraient rien de commun avec lui.
  • Réciproquement, pris comme type, le polythéisme exclurait les cultes monothéistes, les plus élevés qui existent sur la terre.
  • Le bouddhisme serait absolument opposé au judaïsme primitif. Dans le bouddhisme, en effet, le, caractère religieux provient uniquement de l’idée de la vie future; l’idée de la divinité est exclue. Dans le judaïsme de l’ancien Testament, c’est l’adoration de Yahvé qui est l’essence de la religion, et la vie future joue un rôle si peu important, que l’on a pu mettre en doute si elle faisait partie de la croyance des Hébreux.

Ainsi, dans toutes les religions historiques nous voyons une conception partielle et tronquée de la religion. La religion y est mise en accord avec les besoins spéciaux d’une race et d’un peuple. Le catholicisme présente seul le type d’une religion unique, s’adressant à tous les hommes et contenant en elle-même ce qu’il y a de beau et de bon dans toutes les religions, ou plutôt contenant en elle-même la perfection des éléments qui se trouvent à l’état imparfait et grossier dans les autres cultes.

II. Harmonie

Rassembler tout ce qu’il y a de bon dans les diverses religions ne serait rien, si ces éléments divers n’étaient associés ensemble avec ordre et avec unité, s’ils ne formaient qu’un chaos et non une harmonie. Si, en effet, les éléments des diverses religions étaient ainsi assemblés pêle-mêle, l’œuvre formée de la sorte serait incohérente et pleine de contradictions. La croyance à un seul Dieu se heurterait contre le polythéisme, l’idée de la métempsycose contredirait l’éternité du bonheur et des peines futures. Il faudrait à la fois adorer des idoles avec les païens et les briser pour obéir à Mahomet. La polygamie et le divorce, permis par l’islam, sont interdits par l’Évangile ; comment établir l’accord ? Cette impossibilité d’une religion fondée sur le syncrétisme des autres cultes est évidente. Aussi ceux mêmes qui, ne comprenant pas l’harmonie des éléments religieux qui existe dans le catholicisme, ont voulu créer une religion universelle, ont tous senti qu’il fallait choisir entre ces éléments, les limiter l’un par l’autre et les mettre d’accord. Il sera intéressant, avant d’étudier l’harmonie catholique, de jeter un coup d’œil sur quelques essais récents de ce genre.

Max Muller, dans un de ses ouvrages, a essayé de jeter les bases d’un éclectisme s’appliquant à toutes les religions de l’univers. Voici comment il décrit la religion qu’il espère voir venir :

« J’attends avec espoir le temps où les fondements souterrains de la religion de l’humanité deviendront de plus en plus accessibles, et où la science de la religion, qui à présent n’est qu’un germe et un espoir, arrivera à son développement complet et à son abondante moisson. Quand ce temps sera venu, quand les plus profondes fondations de toutes les religions de l’univers auront été découvertes et restaurées, qui sait si ces fondations mêmes ne pourront pas être encore une fois, comme les catacombes, ou comme les cryptes des vieilles cathédrales, une sorte de lieu de refuge pour ceux qui, quel que soit le culte auquel ils appartiennent, aspirent à quelque chose de meilleur, de plus pur, de plus ancien et de plus vrai que ce que l’on peut trouver dans les sacrifices liturgiques, dans les offices religieux et les prédications du temps où leur destinée les fait vivre sur la terre ? Ces hommes ont appris à rejeter les choses enfantines, qu’on les appelle légendes, généalogies, miracles ou oracles ; mais ils ne peuvent se séparer de la foi enfantine de leur cœur. Alors, laissant de côté une partie de ce qui est adoré ou prêché dans les temples hindous, dans les viharas bouddhiques, dans les mosquées musulmanes et dans les églises chrétiennes, chaque croyant apportera avec lui dans cette crypte silencieuse ce qu’il préférera à tout, sa propre perle de grand prix : l’hindou, sa croyance innée au néant de ce monde et sa foi sans hésitation à un autre monde ; le bouddhiste, sa perception d’une loi éternelle, sa soumission à cette loi, sa douceur, sa compassion ; le musulman, si ce n’est autre chose, au moins sa sobriété ; le juif, sa confiance et son attachement, à travers les jours bons ou mauvais, au Dieu unique qui aime la justice et dont le nom est Celui qui est. Nous chrétiens, nous apporterons ce qui vaut mieux que tout le reste, ce qui semblerait meilleur à ceux qui en doutent, s’ils voulaient en faire l’expérience, notre amour de Dieu, quelque nom qu’on lui donne, l’Infini, l’Invisible, l’Immortel, le Père, le Moi qui est le Très-Haut, qui est au-dessus de tout, à travers tout, manifesté dans notre amour de l’homme, dans notre amour des vivants, dans notre amour des morts, dans notre amour vivant et qui ne meurt pas. Cette crypte, bien qu’elle soit encore petite et obscure, est visitée dès à présent par ceux qu’effraient le bruit de voix nombreuses, l’éclat de diverses lumières, le conflit des opinions. Qui sait si avec le temps elle ne deviendra pas plus large et plus brillante, et si la crypte du passé ne deviendra pas l’Église de l’avenir ? [1] »

Ce programme poétique, mais bien vague, de Max Muller, a trouvé sur cette terre des hommes qui ont cherché à le réaliser immédiatement. Ce n’est point dans notre Europe, où les vieilles traditions de logique et de clarté, provenant de la civilisation grecque et conservées par l’Église, ne permettent point aux illusions et aux chimères de prendre corps et de s’établir d’une manière durable ; c’est sur les bords du Gange, au contact de la civilisation anglaise avec la spéculation de l’Inde ; c’est dans la race intelligente des brahmanes qu’est née une secte nouvelle, qui a pris à peu près pour principe et pour dogme fondamental l’idée exposée plus haut par Max Muller. La secte du Brahma-Samaj après avoir essayé de fondre ensemble le Véda et la Bible a proclamé en 1880 la doctrine théiste, entendant par ce terme le culte d’un seul Dieu et l’éclectisme entre les diverses religions de l’univers. Les bramoïstes (c’est le nom qu’ils se sont donné) considèrent comme des saints et des prophètes tous les fondateurs de religion de l’univers : Mahomet, Bouddha, Confucius. Ils font un choix dans les livres sacrés de tous les cultes. Jusqu’à présent le principe pratique de leur éclectisme a consisté à exclure, d’une part, le polythéisme et l’idolâtrie, d’autre part, le panthéisme absolu et l’athéisme. Mais cette secte, déjà divisée en plusieurs branches, n’a eu, malgré ses prétentions à conquérir le monde, que des succès très limités et n’est pas encore sortie du Bengale, où elle compte, dit-on, environ 50 000 fidèles.

Résultat de recherche d'images pour "Brahma-Samaj"Il suffit d’ailleurs d’un peu de réflexion pour comprendre la vanité d’une pareille tentative. Qu’un individu comme Max Muller fasse pour son propre compte, et d’après ses idées personnelles, un choix entre les doctrines, les sentiments et les rites des diverses religions, cela est possible. Mais pour qu’un tel système devienne une religion universelle et populaire, il faut un principe qui permette de faire ce choix d’une manière sûre. Or, quel sera ce principe ? Sera-ce la raison individuelle ? Mais cette raison est faillible et il est probable qu’elle arrivera à des conclusions diverses. Chacun choisira, parmi les diverses religions, ce qui convient à la nature de son esprit ou aux préjugés de son éducation. A défaut de la raison individuelle, ira-t-on chercher le principe de cet éclectisme dans une inspiration surnaturelle, dans la prophétie ? C’est le parti qu’a adopté Chunder-Sen, fondateur d’une secte nouvelle, division du Brahma-Samaj : tout homme communique avec la divinité, tout homme est inspiré, tout homme est prophète. Mais on comprend que ce principe ne résout pas la difficulté. Si tout homme est inspiré, comment se fait-il que les opinions religieuses soient si diverses ? Pourquoi les grands hommes, tels que Moïse, Mahomet, Bouddha ont-ils établi des doctrines si opposées ? Et cette unité qu’ils n’ont pas réalisée, qui pourra se flatter de la produire ? Un prophète plus grand qu’eux tous, plus grand que Moïse, Mahomet, Bouddha, que Jésus-Christ même, puisque le christianisme doit être l’un des éléments de la religion nouvelle ? Mais qui peut prétendre à une telle grandeur et à une telle puissance ? Si d’ailleurs, il se trouvait un prophète supérieur à tous les fondateurs de culte, quel besoin aurait-il de la doctrine des anciens sages, et comment la même sagesse qui lui serait nécessaire pour choisir la vérité et la discerner de l’erreur dans les cultes passés ne lui suffirait-elle pas pour créer une religion nouvelle et originale ?

L’Église de l’avenir de Max Muller est donc une chimère. Mais le problème qu’il s’est posé n’est cependant pas insoluble. Non seulement ce problème peut être résolu, mais il l’est déjà, et la fameuse Église de l’avenir, bâtie sur les fondements des plus antiques croyances de l’humanité, montre au grand jour ses piliers, ses arceaux et sa majestueuse nef. Elle est ignorée des savants orgueilleux, et c’est, suivant l’antique prophétie, la pierre que ceux qui bâtissent rejettent comme inutile ; mais elle existe et cette merveille divine est sous nos yeux.

Regardez, en effet, comment, dans la doctrine catholique, les éléments épars des religions de l’univers s’accordent dans une admirable harmonie. Voyez aussi comme dans ce sublime édifice tout ce qui est impur, tout ce qui est mauvais, tout ce qui est irrationnel dans le paganisme, a été rejeté, et avec quelle sagesse la main divine a choisi et préparé ses matériaux !

Comme nous l’avons dit plus haut, la religion catholique nous présente à la fois le monothéisme et certaines formes analogues à celles des religions polythéistes et que les autres religions monothéistes, judaïsme et islamisme, ont rejetées. Or, ces éléments en apparence opposés sont-ils laissés sans conciliation et sans harmonie ?

La réponse se trouve dans la théologie catholique, et principalement dans la doctrine des premiers conciles.

  • Les discussions sur la Trinité, les discussions des conciles de Nicée et du premier concile de Constantinople ont eu précisément pour but d’établir, autant que cela est possible avec le langage humain et la pensée humaine, inférieurs à de si grands mystères, l’accord entre l’unité transcendante du Dieu suprême et la multiplicité des personnes divines. Tandis que les triades païennes, molles et changeantes, se greffant les unes sur les autres, établissent entre l’Être suprême vaguement connu et le monde une échelle d’êtres intermédiaires et confondent ainsi le fini et l’infini, la doctrine catholique distingue d’une façon absolument précise le monde supérieur de l’éternité, où vivent les personnes divines, et le monde inférieur des êtres créés. La divinité reste transcendante et parfaitement une; elle ne se divise pas, ne s’abaisse pas, et cependant le Dieu chrétien n’est plus le Dieu solitaire qui effrayait le cœur et troublait l’imagination. La paternité, la filiation, la vie, la société, l’amour, toutes les beautés de l’infini, dont les beautés du monde inférieur sont l’image, apparaissent aux yeux charmés, quoique éblouis des fidèles.
  • Chez les païens, la présence de la divinité sous forme visible sur la terre alterne entre un anthropomorphisme grossier qui assimile l’Être suprême aux créatures, et un symbolisme vague qui ne diminue en rien la difficulté pour l’homme d’entrer en rapport avec l’Infini. L’Incarnation chrétienne, définie par les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine, établit au contraire un lien mystérieux entre le monde absolu et le monde contingent, et fait vivre réellement Dieu sur la terre, sans qu’il cesse d’être le souverain invisible de l’univers. La même doctrine pure et idéale rejette les grossières analogies païennes, les incarnations dans des corps d’animaux, ou dans la personne d’hommes coupables ou corrompus, tels que Shiva ou Krishna. Comme Hercule et d’autres héros, le Christ a une origine céleste et miraculeuse ; mais à la place des fables grossières et immorales par lesquelles le paganisme explique cette union du ciel et de la terre, l’Évangile nous montre un type de pureté idéale et surhumaine dont la beauté ravit les cœurs et les enflamme d’amour pour l’innocence et la vertu.
  • Les liturgies païennes contiennent l’idée de l’expiation, de la purification, du pardon, exprimée quelquefois sous une forme très énergique. Mais, en attribuant aux cérémonies une puissante efficacité, elles n’en indiquent pas la cause, et par conséquent donnent à ces cérémonies un caractère irrationnel et magique. Elles négligent aussi, en général, les dispositions morales et permettent d’associer la pureté liturgique à la corruption du cœur. La doctrine catholique des sacrements, aussi énergique que les croyances païennes quant à l’efficacité des cérémonies, attribue cette puissance à la volonté du Dieu créateur, en exclut toute magie et maintient la nécessité des dispositions du cœur et du bon usage de la liberté.
  • Le culte des saints et celui des images ressemblent extérieurement aux cultes des dieux païens et à l’idolâtrie ; mais la doctrine monothéiste, qui anime la religion tout entière, transforme ces cérémonies; la vénération des saints se distingue de l’adoration, et des explications sages empêchent que l’image ne se confonde avec la réalité. En outre, des liens étroits rattachent ces pratiques au dogme chrétien :

– le culte des saints se rattache à celui du Christ leur chef qui leur communique sa vie : ils ne sont honorés qu’en tant que membres du Christ,
– le culte des images se rattache à la manifestation visible de la divinité en la personne du Christ ;
– le culte des reliques se rattache au dogme de la résurrection des morts et à la résurrection du Christ, type de toutes les autres.

Aussi ces usages et ces pratiques, qui, s’ils étaient isolés, seraient répréhensibles, deviennent des conséquences légitimes et des corollaires des doctrines fondamentales du christianisme.

  • Même supériorité, même modération dans la hiérarchie catholique. Le chef de cette hiérarchie a une autorité divine et infaillible mais cette autorité ne va pas, comme celle des imams de l’islamisme persan, jusqu’à être une prophétie permanente, ni, comme celle des gourous de l’Inde et des lamas du Tibet, jusqu’à être une perpétuelle incarnation de la divinité.

En un mot, dans la religion catholique, tous les éléments communs entre le christianisme et les autres cultes sont chacun à leur place, se limitant et se modérant l’un l’autre, contenus dans les bornes de la logique et d’une raison soumise, mais non détruite et toujours en accord avec un idéal moral sublime et élevé. Cette harmonieuse organisation d’éléments partout ailleurs dispersés, se rencontrant dans une seule religion, prouve qu’elle est surhumaine. Il faut une cause surnaturelle pour créer une telle merveille.

III. Religion vivante

Comment s’est formée cette harmonie ? On ne peut guère concevoir cette formation que de deux manières.

  • soit elle a été faite artificiellement, comme une œuvre humaine ; l’accord des différents éléments a donc été obtenu par un travail philosophique et logique, par la combinaison systématique et factice de doctrines antérieures.
  • soit cette œuvre a été produite comme le sont les êtres vivants, c’est-à-dire par un développement interne, par l’épanouissement d’un germe qui est distinct de tout autre et qui, s’il doit s’assimiler des éléments étrangers, les transforme et se les approprie.

Pour la première hypothèse, il faudrait qu’un philosophe et un érudit, connaissant les religions antérieures, un maître en fait d’histoire des religions comme Max Muller, ait cherché à réaliser l’accord des diverses religions de l’univers. Il est tellement évident que les choses ne se sont pas passées et n’ont pas pu se passer ainsi, qu’il semble inutile de discuter cette hypothèse. Mais il sera bon de jeter un rapide coup d’œil sur la formation de la religion catholique. Ce sera le moyen de vérifier l’hypothèse contraire, seule admissible. Ce sera aussi le moyen d’écarter d’une manière plus complète l’accusation de plagiat portée contre le christianisme, en raison de ses ressemblances avec les autres religions.

Résultat de recherche d'images pour "saint paul"L’origine du culte catholique ne se perd pas dans les légendes, ni dans la nuit des temps. Un document historique capital, sur la valeur duquel toutes les lumières de la critique sont concentrées, le Nouveau Testament, contient à la fois le récit de la fondation de l’Église et les éléments primitifs de son dogme, de sa liturgie et de sa hiérarchie. Le Nouveau Testament, dans son ensemble, appartient d’une manière incontestée à l’époque apostolique. L’Église, dépositaire de ce livre, le présente aux hommes comme l’œuvre authentique de plusieurs personnages dont l’existence n’est pas contestée et qui ont été témoins oculaires, ou témoins auriculaires au premier degré des faits qu’ils racontent. La critique rationaliste conteste sur certains points cette affirmation de l’Église, mais elle la laisse subsister relativement à une grande partie du texte. Il y a notamment des épîtres de saint Paul que personne ne, conteste, et, grâce à leur témoignage, M. Renan a pu dire que la pleine lumière de l’histoire brille sur le temps de la prédication de saint Paul, c’est-à-dire de la 15e à la 32e année après la Passion [2]. Les contestations relatives aux autres parties du Nouveau Testament ne portent que sur une différence d’un petit nombre d’années. Aussi, malgré toutes ces controverses, un certain nombre de points restent inattaquables. En premier lieu, le fondateur du christianisme, que Tacite déclare avoir été mis à mort par Ponce Pilate, était un juif avant toujours vécu en Judée et n’ayant acquis par des moyens humains aucune connaissance des religions étrangères. Les apôtres et les évangélistes, les auteurs du nouveau Testament, étaient également des Juifs, ayant vécu dans le milieu juif. Saint Paul a bien eu une certaine connaissance de la sagesse grecque, mais il était pharisien, disciple de l’école juive de Gamaliel, et c’était dans le judaïsme qu’il puisait ses principales inspirations [3]. Tous les apôtres ignoraient l’Inde et l’extrême Orient, et s’ils connaissaient le paganisme gréco-romain, c’était en ayant pour cette religion une profonde horreur, en la considérant comme l’œuvre du démon. Aussi ne voit-on dans leurs écrits aucune trace d’imitation de doctrines étrangères. Tout ce qui est humain dans l’Évangile, toutes les idées qui n’ont pas le cachet exclusif d’originalité chrétienne, viennent des opinions régnantes parmi les Juifs de Palestine au premier siècle de notre ère. Le seul point où il pourrait y avoir eu un emprunt de langage à la philosophie grecque, est l’emploi du terme Logos, Verbe, pour désigner le Fils de Dieu dans son existence éternelle. Or, cet emprunt, s’il a eu lieu, n’est point celui d’une doctrine, mais d’un terme philosophique, et il est fait à Platon et non à une religion païenne. On a relevé aussi certains termes, tels que celui de mysterion, mystère, qui ont pu être empruntés au paganisme : mais ne fallait-il pas que les apôtres, écrivant en grec, désignassent les nouvelles institutions chrétiennes par les termes qui désignaient des institutions analogues des religions antérieures ? Auraient-ils pu se faire comprendre autrement ? L’Évangile est donc une œuvre pleinement originale, juive et divine, juive et chrétienne, mais nullement païenne ; il n’y a rien dans l’Évangile qui vienne de l’Inde, de la Perse, ou des cultes de la Grèce ou de Rome.

Or, dans cette source pure, nous trouvons les éléments primitifs de tout ce qui s’est développé plus tard dans le catholicisme :

  • au point de vue dogmatique, l’Unité divine, la distinction des trois personnes, les attributs divins de chacune d’elles, les deux natures du Christ et l’étroite unité de sa personne, la rédemption, la grâce, le péché originel, tout se trouve dans l’Évangile :
  • au point de vue sacramentel, le baptême, la cène, les diverses impositions des mains, le pouvoir de remettre les péchés accordé aux apôtres, le germe de la liturgie catholique ; au point de vue hiérarchique, l’apostolat et primauté de saint Pierre ;
  • au point de vue moral, l’indissolubilité du mariage, le précepte de la chasteté, de la charité, de l’aumône, les conseils évangéliques, et enfin la rétribution future et définitive des bons et des méchants.

Tout cet ensemble d’institutions et de préceptes s’appuie directement sur le texte du Nouveau Testament.

Maintenant, ce texte contient-il toute la religion telle qu’elle existait à l’origine ? N’y avait-il pas des points dogmatiques et disciplinaires confiés à la tradition orale, et qui n’ont point été mentionnés dans le texte inspiré ? Tout indique que la doctrine entière n’a pas été confiée à l’écriture. Selon l’Évangile même, elle est confiée à un corps enseignant vivant auquel il n’est nullement prescrit d’écrire des livres. Les livres eux-mêmes n’ont point la forme d’un catéchisme ni d’une encyclopédie de la doctrine chrétienne. Ils sont écrits en diverses circonstances pour répondre à divers besoins de l’Église primitive. Ils font constamment allusion à un enseignement oral parallèle. Nous pouvons donc aux enseignements écrits de l’Évangile joindre, comme parties primitives et originales de la doctrine et de la liturgie chrétiennes, des enseignements traditionnels : tels sont la prière pour les morts, l’institution du dimanche substitué au samedi, les cérémonies du baptême, le baptême des enfants, etc. Tout ce fond de doctrines et de rites si considérable est exclusivement chrétien, sans aucune importation païenne.

Qu’est devenue maintenant dans l’histoire, cette religion déjà si complexe à son origine ? Elle s’est développée sous la forme de la grande et universelle Église qui se, manifeste dans les conciles du 4e siècle. Ce n’est pas le lieu de discuter la question de savoir si ce développement liturgique, doctrinal et hiérarchique a été légitime ; s’il a été voulu de Dieu ; si les modifications extérieures de l’organisation hiérarchique et du culte, si les formules dogmatiques plus précises, ont ou n’ont point altéré le christianisme primitif. La théologie catholique traite ces questions et ne manque pas d’arguments pour justifier les dogmes et les rites actuellement existants et montrer l’accord entre le présent et le passé. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment. Il s’agit seulement de savoir si la religion catholique, telle qu’elle existe aujourd’hui, a été le produit d’un développement organique et vital du christianisme, développement spontané et se produisant sous l’action d’un principe interne, ou si elle est une œuvre composite, une pièce de marqueterie faite avec les morceaux de diverses religions, ou tout au moins une œuvre artificielle et savante, destinée intentionnellement à satisfaire à tous les instincts religieux de l’humanité et à gagner ainsi le cœur de l’homme.

Or il suffit d’un simple coup d’œil jeté sur l’histoire de l’Église pour reconnaître la fausseté de ces dernières hypothèses. On peut suivre l’histoire de chaque dogme et de la plupart des cérémonies. Nulle part, on ne trouvera qu’ils aient été empruntés à un culte étranger. On ne rencontrera aucun pape ni aucun concile qui ait eu la pensée exprimée par Max Muller, et dont un essai de réalisation a eu lieu dans l’Inde, celle de fondre et de mettre en harmonie les diverses religions. Partout on verra que la pensée des théologiens et des dépositaires de l’autorité doctrinale et liturgique a toujours été de conserver précieusement, pur de tout alliage, le dépôt de la tradition, de le mettre en lumière et d’en déduire les conséquences. Et s’il a pu arriver, comme le croient certains historiens, que vers le 5e siècle les évêques aient reconnu l’utilité, pour combattre l’éclat des fêtes païennes, de donner au culte un caractère plus brillant, c’est dans des institutions spécialement chrétiennes qu’ils en ont puisé les éléments. C’est le culte de la sainte Vierge et celui des martyrs qui s’est substitué à l’idolâtrie païenne. C’est à la suite du concile d’Éphèse traitant une question dogmatique purement chrétienne, que s’est produit le grand développement extérieur du culte de la sainte Vierge. Tout est donc chrétien dans cette croissance du culte, tout naît spontanément et vient du dedans.

Dès lors, lorsque nous voyons sortir du germe original et spécial de l’Évangile, une religion vraiment universelle, dans laquelle tout ce que contiennent les autres cultes se trouve reproduit d’une manière supérieure et avec une admirable harmonie, lorsque nous voyons cette œuvre traverser les siècles, grandir au milieu des obstacles, s’assimiler ce qui se trouve de bon partout, soutenir une guerre acharnée contre les excès et les passions, vivre de sa propre vie et rassembler dans un même ordre de sentiments des hommes de toute race et toute civilisation, ne devons-nous pas conclure que nous sommes en présence d’une institution vivante, soutenue par une force invisible et interne, et que c’est à cette force organisatrice qu’il faut attribuer l’harmonie des éléments religieux qu’elle contient ? Sans doute cette force n’opérera pas seule. Elle s’associera aux forces inférieures pour les diriger, de même que la force vitale s’approprie les forces physiques et chimiques. Les instincts de l’humanité auront leur action propre au sein même de la vraie religion. La tendance à l’ascétisme, la tendance au culte d’objets visibles exerceront leur influence. Mais deux caractères distingueront la religion divine des œuvres humaines.

  • D’une part, aucun de ces instincts, en ce qu’il a de bon, ne sera anéanti et supprimé d’avance. La vraie religion ne sera ni exclusivement ascétique comme celles de l’Inde, ni opposée comme l’islam au développement d’un idéal moral supérieur et d’un culte satisfaisant le cœur et l’imagination.
  • D’autre part, les instincts de l’humanité seront partout gouvernés et dirigés par la force interne qui anime la religion, de manière à ce que ses principes fondamentaux restent les mêmes et que l’harmonie se maintienne.

Or l’existence d’une telle puissance organique et vitale, évidente pour quiconque étudie le catholicisme, suppose une cause spéciale qui ne se rencontre pas ailleurs. Et du moment que l’œuvre produite par cette cause est destinée à élever l’humanité à un idéal sublime, qu’elle inspire des vertus héroïques et qu’elle prescrit l’adoration d’un Dieu parfait et créateur, n’est-il pas évident que cette cause n’est autre que Dieu lui-même, la source de toute vie et le principe de toute perfection ?

La nécessité de cette force interne, de ce principe de vie divine, apparaîtra avec plus d’évidence si nous considérons la résistance qu’une telle œuvre doit rencontrer. Il ne faut pas croire en effet que cette puissance de s’adapter à tous les bons instincts de l’humanité, en les mettant en accord entre eux, soit pour une religion une cause de popularité et de succès. Par le fait même qu une  telle institution est prête à répondre, d’une façon juste et modérée, à tous les besoins légitimes des cœurs, elle ne saurait satisfaire complètement chacun de ces besoins ; elle est nécessairement obligée de résister à l’excès de chacune des tendances dont elle doit régler l’action. Nécessairement une telle religion se trouve en opposition et en guerre avec les exagérations de diverses sectes.

  • Elle devra combattre l’idolâtrie, mais il lui faudra aussi faire face aux iconoclastes.
  • Elle devra enseigner la nécessité absolue de la grâce, mais elle ne pourra pas céder à ceux qui veulent anéantir la nature et le libre arbitre.
  • Elle prêchera l’abondance des miséricordes de Dieu, mais elle ne devra pas laisser oublier sa justice.
  • Elle aura des formes de cultes répondant aux instincts des divers peuples du monde, mais elle devra les faire vivre en paix, obliger l’austérité des peuples du nord à supporter l’éclat joyeux des fêtes nécessaires aux méridionaux ; elle encouragera et louera l’ascétisme et la vie contemplative, si chers à certains peuples de l’Orient, mais elle ne devra ni combattre, ni décourager la vie active, le travail agricole et industriel, l’emploi de ces forces que Dieu a données à l’homme pour transformer le monde.
  • Elle devra en outre, précisément parce qu’elle est universelle, exciter la défiance des divers peuples et de leurs gouvernements.

Cette universalité même, cette nécessité d’être adaptée à tous, est donc une faiblesse tout autant qu’une force, et ne saurait être considérée comme l’explication du succès et de la durée d’une institution. Si l’on observe, en outre, qu’une telle œuvre a contre elle la coalition de tous les instincts pervers de l’humanité, qu’elle est obligée de lutter contre l’orgueil et la sensualité, dont elle est nécessairement l’ennemie, on comprendra l’absolue nécessité, pour la durée d’une telle œuvre, d’un principe de vie surnaturel et divin.

Il résulte de ces considérations que les ressemblances si nombreuses et si frappantes entre le christianisme catholique et les autres religions n’ont rien qui diminue le caractère divin de l’Évangile. Semblables en apparence, les éléments diffèrent par leur origine, par leur perfection, par l’harmonie avec laquelle ils s’accordent ensemble. La religion divine, adaptée à tous les besoins légitimes de l’âme humaine, présente, dans un état de parfaite harmonie, ce qui n’était qu’à l’état d’ébauche dans les religions antérieures.

IV. Développement progressif de la religion divine

Résultat de recherche d'images pour "graine qui pousse"Si Dieu a donné aux homme le germe d’une révélation primitive, destinée à grandir et à se développer, il les a aussi laissés libres de leurs choix et de leurs initiatives  Et il y a, à partir de là, dans l’histoire, une double évolution :

  • celle de la vraie religion, dont le progrès est soutenu et guidé par Dieu,
  • celle des inventions humaines, avec des alternatives de progrès et de décadence, mais où la décadence finit par prévaloir.

Chez les peuples où la religion primitive s’est déformée, les instincts religieux ont créé d’une manière naturelle et spontanée des formes et des institutions adaptées aux besoins de l’humanité, satisfaisant imparfaitement à quelques aspirations élevées, mais se prêtant aussi à la satisfaction des passions. De grands hommes ont paru qui, sentant l’insuffisance et la corruption des cultes existants, en ont créé de nouveaux, se servant pour cela des anciennes traditions, mais s’appuyant aussi sur la raison et la conscience de l’homme, et sur ses instincts religieux que leur génie avait devinés. Ces œuvres imparfaites ont toujours été plus ou moins mêlées d’imposture. Elles ont contenu un mélange de bien et de mal. Quelquefois on y voit l’ébauche grossière de ce que Dieu devait faire plus tard ; mais ces éléments d’une vraie religion se trouvent isolés, dispersés, en opposition les uns avec les autres, impuissants pour le bien, sans force, sans stabilité. Les notions les plus sublimes se transforment tout d’un coup en grossières superstitions : l’idéal le plus élevé devient souvent, par une sorte de fermentation mystique, une doctrine basse et sensuelle.

Pendant ce temps la main de Dieu conservait comme dans un canal étroit et resserré, la doctrine pure du monothéisme. Cette doctrine semblait austère et froide ; elle se réduisait à. l’origine à un dogme à peu près unique, la souveraineté du Créateur ; ce n’est que plus tard, vers l’époque de la captivité des Juifs à Babylone, que paraissent les grandes prophéties sur le Messie, sur le jugement dernier et les promesses relatives à la vie future et à la résurrection. Enfin, quand les temps fixés par la Providence sont accomplis, Dieu crée une œuvre nouvelle, une institution vivante. De la souche du monothéisme hébraïque sortent le dogme et la liturgie chrétienne ; cette œuvre adaptée à l’humanité tout entière, contient en germe tout ce que le cœur humain peut désirer. L’Évangile renferme le plan d’une immense société hiérarchique liée par les sacrements. Ce plan se développe dans le cours des âges, et la nouvelle religion, croissant comme le grain de sénevé de la parabole, finit par couvrir la terre et par produire une série d’institutions et de formes qui correspondent aux mêmes besoins auxquels cherchaient à satisfaire les religions païennes, mais qui satisfont d’une manière plus parfaite aux sentiments moraux, nobles et élevés et se refusent à toute concession envers les passions basses et grossières. Cette œuvre vivante se soutient par sa force interne. Bien qu’adaptée à tous les besoins nobles de l’humanité, elle est mal reçue par les hommes ; elle gène leurs passions et les oblige à accepter un idéal sublime. Faite pour l’humanité entière, elle trouble les institutions locales et brise les barrières étroites des nations. Sans sa force interne elle ne résisterait pas à la conspiration qui se forme constamment contre elle.

Telle est donc la vue générale de l’histoire des religions qui nous semble la plus conforme aux faits historiques. A partir de l’origine de l’humanité, la vérité religieuse, conservée par un petit nombre d’hommes, se sépare des erreurs qui ne sont que les altérations, de cette vérité. La vérité et l’erreur se développant, toutes deux dans le cours des siècles, il existe une double évolution religieuse :

  • l’une, celle de l’erreur, consistant dans des changements et des révolutions perpétuelles, dans des progrès et des ruines qui se succèdent alternativement, ou dans des états de décadence qui peuvent durer pendant des siècles nombreux sans qu’il y ait aucun retour vers le bien et l’idéal ;
  • l’autre, celle de la vraie religion, étant un progrès lent, mais continu et perpétuel, ou bien une série de renaissances et de résurrections, mais sans interruption complète du progrès. Le judaïsme de l’époque du Christ est un progrès sur la religion de Moïse, comme celle-ci sur la religion des patriarches. Le christianisme, nouvelle effusion de l’Esprit-Saint, est un progrès immense, et dans l’Église même il y a, de l’aveu des grands docteurs, un progrès dans la connaissance de la vérité ; il peut aussi y avoir, si les chrétiens le veulent, un progrès de l’amour, de la foi, et par suite une extension plus grande de l’action de la vérité dans l’univers. Ce progrès des effets de la religion est subordonné au bon usage de la liberté humaine. On se demande souvent pourquoi il y a encore tant de païens dans le monde dix-neuf siècles après l’Évangile. Ne pouvons-nous pas dire que la faute en est aux chrétiens qui n’accomplissent pas leurs devoirs, ne vivent pas conformément à leur foi, et, au lieu de travailler à la gloire de Dieu, sont souvent cause que l’on blasphème son nom ? Le progrès aura lieu cependant, parce que Dieu est fidèle à ses promesses ; mais il sera plus lent et moins complet si les hommes ne coopèrent pas à l’œuvre divine. Chacun de nous a sa part dans la grande œuvre de la propagation de la vérité; chacun a sa part de travail ; chacun aussi aura sa part de gloire dans la victoire définitive du bien.

V. Conclusion

La religion catholique satisfait d’une manière plus universelle qu’aucune autre aux instincts religieux des hommes par suite qu’elle contient ce qu’il y a de bon dans les autres religions, qu’elle établit entre ces divers éléments une parfaite harmonie, qu’elle produit cette merveille par une force vitale interne, et enfin que cette institution vivante et harmonieuse est progressive, perpétuellement jeune, et doit durer autant que l’humanité.

Que deviennent, alors, les objections tirées des ressemblances entre toutes les religions ? N’est-il pas évident que cette institution vivante animée par une force interne spéciale, est par elle-même une individualité tout à fait originale, quelle que soit sa ressemblance extérieure et partielle avec les autres ? N’est-il pas vrai que les ressemblances se tournent en preuves et que leur harmonie devient une marque de la transcendance de cette religion sublime qui rassemble tout en elle, et un signe incontestable de l’action d’une cause supérieure, qui ne peut être que la puissance divine en elle-même ?

d’après : abbé Paul de Broglie (1834-1895),
Problèmes et conclusions de l’histoire des religions, Paris, 1885
ch. IX, « Harmonie des ressemblances »
p. 286-320

[1] — Hibbert Lectures, 1878 , p. 378.
[2] — Saint Paul, par Ernest Renan, Introduction, p. 1 et 2.
[3] — Ac 22, 3 et 23, 6.