Par l’abbé Louis-Edouard Pie (futur cardinal Pie)
C’est à son Église que Jésus-Christ a confié l’Écriture sainte.
Les protestants qui s’en sont emparés et prétendent l’interpréter librement sont donc coupables de vol. En plus, ils sont responsables de l’incrédulité et des blasphèmes de tous ceux à qui ils ont impunément distribué les Livres saints sans aucune préparation – comme on jette des perles aux pourceaux –, et qui y ont trouvé une occasion de chute et de scandale.
Les protestants ont prétendu exalter la Bible (sola Scriptura !), mais ils ont ruiné son autorité dans beaucoup d’âmes. Le recours à l’Église est indispensable, car le meilleur remède peut facilement devenir poison en des mains incompétentes. – Voici ce qu’en disait l’abbé Pie en 1843.
Tout homme a besoin d’une mère
D’abord, mes frères, je vous adresserai cette question : La Providence ferait-elle assez pour un enfant encore au berceau ; si elle déposait à côté de lui un pain pour lui servir de nourriture ? Que faut-il donc en outre ? N’est-ce pas une mère, une nourrice pour rompre ce pain, pour l’humecter, pour le distribuer selon le besoin ? Or, mes frères, auprès de l’homme, qui ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, ce n’est pas assez que Dieu ait placé son Écriture ; il fallait aussi une nourrice, une mère pour rompre ce pain : cette mère, c’est l’Église.
Les saintes Écritures, mes frères, sont la propriété de l’Église. L’Église est avant l’Écriture, car l’Église remonte aux premiers jours du monde, et elle a été définitivement fondée par le Rédempteur ; or les Livres saints de l’ancienne alliance ne datent que de Moïse, et ce ne fut que plusieurs années après la mort du Christ et l’établissement de son Église que furent écrits les livres du Testament nouveau.
Donc, c’est à l’Église qu’il appartient de mettre les Livres saints entre les mains des fidèles, quand et comment elle le juge utile et convenable.
Le protestantisme mène au blasphème
Donc les sectaires qui sèment les bibles à profusion, et qui livrent la parole sainte à l’examen privé et au jugement arbitraire de chacun, sont coupables d’iniquité envers l’Église, disposent injustement de sa propriété, et sont responsables devant Dieu des blasphèmes et des scandales que l’Écriture peut provoquer, quand elle n’est pas interprétée par une autorité certaine. Donc les catholiques indiscrets qui s’arrogent d’eux-mêmes la faculté de lire indistinctement toute l’Écriture, qui ne demandent pas à l’Église ses conseils, qui ne tiennent pas compte de ses restrictions, qui ne recourent pas à ses commentaires, n’auront pas droit d’accuser la parole de Dieu des tentations et des doutes auxquels leur foi sera souvent exposée, ni du fanatisme et de l’exagération auxquels leur esprit sera parfois livré.
Comment lire la bible ?
Mes frères, je le proclame avec Bossuet : pour celui qui lit l’Écriture avec un esprit raisonneur et plein de lui-même, il y a autant d’écueils que de versets. Aussi écoutez le principe fondamental qu’établit ce grand homme, et moyennant lequel l’Église catholique n’interdit à personne d’une façon absolue l’usage des Écritures. La plus utile observation qu’il y ait à faire, dit-il, sur la lecture de l’Écriture, est de s’attacher à profiter de ce qui est clair, en le goûtant et le méditant, et de passer ce qui est obscur, en l’adorant et soumettant toutes ses pensées au jugement de l’Église. Par ce moyen, on tire autant de profit de ce qu’on n’entend pas que de ce qu’on entend, parce qu’on se nourrit de l’un, et l’on s’humilie de l’autre.
Autre principe. On trouvera dans l’Écriture certains récits, certaines expressions que l’Esprit-Saint a insérés par de secrets desseins, et qui tendent ou à inculquer, quelques vérités ou à inspirer l’horreur des grands crimes. Mais comme elles peuvent faire d’autres effets sur les âmes faibles, il faut passer par-dessus et prendre bien garde surtout de ne pas s’y arrêter par curiosité ; car Dieu frapperait terriblement ceux qui abuseraient jusqu’à cet excès de sa pensée, et qui feraient servir de matière à leurs mauvaises pensées un livre qui est fait pour les extirper.
Savoir reconnaître ses limites
Dans les Écritures, dit saint Jean Chrysostome, celui-là est savant, qui ne sait pas seulement où l’on peut s’avancer, mais où il faut s’arrêter ; comme dans un fleuve, celui-là le connaît, qui sait où est le gué, et où les abîmes sont impénétrables.
Encore une fois, mes frères, moyennant ce principe de soumission humble et religieuse, l’Église catholique, loin de défendre la lecture des Livres saints, ne cesse de la recommander à ses enfants, comme un trésor de lumière, de vertu, de patience et de consolation. L’eucologe [i.e. le missel], qu’elle met entre les mains de tous, n’est guère autre chose qu’une Bible distribuée avec prudence, avec mesure, et mise en rapport avec les diverses circonstances des temps et des solennités. Et si l’eucologe est la Bible de tous, l’Église exhorte ceux de ses enfants à qui leur condition, leur éducation, leur piété le permet, de faire une étude particulière des saints Livres.
Ce fut pour de pieuses dames que saint Jérôme entreprit ses grands travaux de traduction de l’Écriture ; c’était à une vierge chrétienne qu’il écrivait : Nourrissez-vous des oracles sacrés et la nuit et le jour ; que le soir, quand votre tête est affaissée par le sommeil, elle tombe et s’endorme sur une page du Livre saint : Cadentem faciem pagina sancta suscipiat. Enfin, le grand et immortel Bossuet, occupé à la fois des plus hauts intérêts de l’Église et de l’État, trouvait le temps encore de dater du palais de Versailles des lettres à d’humbles religieuses auxquelles il envoyait ses traductions et ses commentaires des Psaumes, des Prophètes, des Évangiles et de l’Apocalypse même, leur indiquant quels fruits particuliers elles pourraient retirer des livres sapientiaux, des livres prophétiques, historiques et des écrits des Apôtres. Soutenus par de telles autorités, nous vous le disons hardiment, mes frères, ô vous qui n’avez à coeur que de vivre d’une vie toute d’union avec Dieu : lisez, lisez, méditez les saintes Écritures ; ne passez pas une journée sans lire au moins un chapitre du nouveau Testament. […]
Abbé Louis-Edouard PIE (1815-1880), Prône prêché dans la cathédrale de Chartres,
dimanche 19 novembre 1843, reproduit dans Le Sel de la terre n°95, p. 285-286