Télécharger : Père Calmel – Petit florilège
sur quelques sujets brûlants… ou moins brûlants
Le père Roger-Thomas Calmel O.P. est décédé le 3 mai 1975 (premier samedi du mois de Marie). Pour le vingtième anniversaire de son rappel à Dieu, nous avions, il y a vingt ans, publié à sa mémoire un numéro spécial du Sel de la terre (le numéro 12 bis, dont il reste quelques exemplaires). Pour ce quarantième anniversaire, voici juste un petit florilège.
Le langage mou
En juillet-août 1963 – la première session de Vatican II s’était achevée il y a quelques mois – le père Calmel s’attaquait, dans Itinéraires, au « langage mou » envahissant l’Église.
J’ai toujours eu en horreur les expressions molles, visqueuses ou fuyantes, qui peuvent être tirées dans tous les sens, auxquelles chacun peut faire dire ce qu’il veut ; le technocrate par exemple pouvant y trouver l’approbation de son despotisme technocratique et l’ermite fabriquant des corbeilles une consolante bénédiction pour son travail de contemplatif. Et les expressions molles, visqueuse ou fuyantes me sont d’autant plus en horreur qu’elles se couvrent d’autorités ecclésiastiques : des monseigneurs, des pères ou des abbés. Alors surtout ces expressions me paraissent une injure directe à celui qui a dit : Je suis la Vérité … Vous êtes la lumière du monde … Que votre parole soit oui si c’est oui, non si c’est non [1].
Le « complotisme »
Dénonçant la « tactique du Dragon dans les temps modernes, qui est de susciter des sociétés occultes, véritables contre-sociétés qui s’infiltrent comme un virus dans les sociétés saintes pour les dénaturer », le père Calmel ajoute :
Les chrétiens qui vous accueillent avec un sourire indulgent lorsque vous évoquez les sociétés secrètes et leurs projets de subversion mondiale montrent surtout qu’ils ont une idée bien courte de la malice du démon et de ses méthodes de combat. Ce n’est point parce que certains ouvrages sur les sociétés secrètes témoignent d’un simplisme affligeant qu’il est raisonnable et chrétien de tenir ces sociétés comme quantité négligeable, proche de zéro [2].
L’esprit de Vatican II
C’est toujours avec une sorte de saisissement que l’on ouvre le prologue de L’Apologie pour l’Église de toujours du père Calmel [3]. On y trouve, d’entrée de jeu, une des plus pénétrantes analyses qui ait jamais été faite de Vatican II, ses intentions, ses illusions – son « esprit ». A l’heure du cinquantième anniversaire de la clôture de ce concile, il convenait de reproduire ces pages.
Egarés par la grande chimère de vouloir découvrir les moyens infaillibles et faciles de réaliser une bonne fois l’unité religieuse du genre humain, des prélats, des prélats occupant les charges les plus importantes, travaillent à inventer une Église sans frontières dans laquelle tous les hommes, préalablement dispensés de renoncer au monde et à Satan, ne tarderaient pas à se retrouver, libres et fraternels. Dogmes, rites, hiérarchie, ascèse même si l’on y tient, tout subsisterait de la première Église, mais tout serait démuni des protections requises, voulues par le Seigneur et précisées par la Tradition ; par là même tout serait vidé de la sève catholique, disons de la grâce et de la sainteté. Les adeptes des confessions les plus hétéroclites, et même ceux qui refusent toutes les confessions, entreraient alors de plain-pied ; mais ils entreraient de plain-pied dans une Église en trompe-l’œil. Telle est la tentative présente du maître prestigieux des mensonges et des illusions. Voilà le grand œuvre, d’inspiration maçonnique, auquel il fait travailler ses suppôts, prêtres sans la foi promus théologiens éminents, évêques inconscients ou félons, sinon apostats déguisés, portés rapidement au comble des honneurs, investis des plus hautes prélatures. Ils consument leur vie et perdent leur âme à édifier une Église postconciliaire, sous le soleil de Satan.
- Les dogmes, décidément frappés de relativisme par la nouvelle pastorale qui ne condamne aucune hérésie, ne proposent plus un objet précis et surnaturel ; dès lors il n’est pas besoin pour les recevoir, à supposer que le mot garde encore dans ce cas une signification, d’incliner l’intelligence ni de purifier le cœur.
- Les sacrements sont mis à la portée de ceux qui ne croient pas ; presque plus rien n’empêche de s’en approcher les incroyants et les indignes, tellement les nouveaux rites ecclésiastiques sont devenus étrangers, par leur instabilité et leur fluidité au signe sacramentel efficace de lui-même, divinement fixé par le Sauveur une fois pour toutes et jusqu’à ce qu’il revienne.
- Pour la hiérarchie, elle se dissout insensiblement dans le peuple de Dieu dont elle tend à devenir une émanation démocratique, élue au suffrage universel pour une fonction provisoire.
Grâce à ces innovations sans précédent on se félicite d’avoir abattu les barrières qui retenaient hors de l’Église celui qui hier encore, dans la période antéconciliaire toute proche, rejetait les dogmes, repoussait les sacrements, ne s’abaissait pas devant la hiérarchie. Sans doute, tels qu’on les entendait avant le Concile, dogmes, sacrements, gouvernement, exigence de conversion intérieure donnaient à l’Église l’aspect d’une ville fortifiée – Jerusalem quæ ædificatur ut civitas [4] – avec portes bien gardées et remparts inexpugnables. Nul n’était admis à franchir le seuil divin qui ne se fût converti. Désormais cependant les choses changent sous nos yeux ; croyances, rites, vie intérieure sont soumis à un traitement de liquéfaction universelle si violent et si perfectionné qu’ils ne permettent plus de distinguer entre catholiques et non-catholiques. Puisque le oui et le non, le défini et le définitif sont tenus pour dépassés, on se demande ce qui empêcherait les religions non-chrétiennes elles-mêmes de faire partie de la nouvelle Église universelle, continuellement mise à jour par les interprétations œcuméniques.
On se le demande, si du moins l’on accepte le point de vue que se laissèrent imposer tant et tant de Pères circonvenus par Vatican II : forger un système inconnu auparavant et un appareil encore inédit en vue de gagner le monde à l’Église sans être exposé à l’échec ni souffrir persécution, et en commençant par relativiser le surnaturel. Mais cela ne signifie rien. Car d’une part Jésus a dit : Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; s’ils m’ont persécuté ils vous persécuteront ; s’ils ont gardé ma parole ils garderont la vôtre (Jn 15, 20). D’autre part le surnaturel n’est pas volatilisable ou modifiable ; il est ferme et précis ; il présente un visage déterminé ; il a une configuration achevée et définitive ; depuis l’incarnation du Verbe, depuis la croix rédemptrice et l’envoi de l’Esprit-Saint, le seul surnaturel qui existe est chrétien et catholique. Il n’a de réalité que in Christo Jesu, et Virgine Maria et Ecclesia Christi [5]. C’est pourquoi si l’on préserve en son âme le point de vue de l’Évangile de Jésus-Christ et des vingt premiers conciles, on voit fort bien ce qui refoule dans le néant la chimère de l’unité œcuménique : c’est l’obligation de fléchir le genou devant le Fils de l’homme, auteur et dispensateur souverain du salut, mais uniquement dans la seule Église qu’il ait établie.
Il n’y a plus une Église mais deux
Depuis Paul VI il n’y a plus une Église mais deux. Obéissez à l’Église, obéissez à Rome, nous crient les hiérarques et les silencieux [6]. Ils peuvent s’époumoner à se rendre malades, ils ont bien fini de nous impressionner car nous savons désormais qu’il y a deux Romes comme il y a deux Églises. Obéir à Rome, obéir à l’Église nous ne voulons que cela ; nous sommes sûrs de ne pas faire autre chose. Mais justement, Rome, la seule Rome, la Rome qui est encore dans Rome, c’est celle des deux cent soixante-deux pontifes et qui ne se contredivisent pas à la Rome d’avant Paul VI et d’avant « le » concile. L’Église, l’unique Église est celle qui n’oppose pas une Messe moderne à celle de quinze siècles de Messes ; qui ne substitue pas hypocritement le catéchisme batave au catéchisme de Trente ; qui transmet l’Écriture Sainte intégrale au lieu de la trafiquer ; qui garde ce qui demeure encore intact de vie religieuse contemplative ou active au lieu de le déliter et de le dissoudre au nom de l’obéissance. Nous obéissons à l’Église une, celle qui domine le monde moderne et la prétendue civilisation technique. Nous n’obéissons pas à une église moderniste, une église apparente qui est irrémédiablement engagée dans l’engrenage d’un monde qu’elle a prétendu épouser. Cette pseudo-église peut bien s’acharner à réduire en esclavage l’unique Église, nous ne sommes pas dupes. Nous ne sommes pas de la Rome qui n’est plus dans Rome ; nous ne sommes pas de l’église apparente et polyvalente. Nous sommes de l’Église de toujours, de la Rome de toujours. Telle est l’âme de notre résistance.
Itinéraires 190, p. 9.
Avoir le courage de voir ce qui est
Il nous faut avoir le courage de voir ce qui est : par un processus insensible une église apparente est en train de se substituer à l’Église véritable. Nous savons qu’elle ne réussira pas ; mais enfin la confusion et la corruption peuvent aller très loin et jusqu’à, séduire, s’il se pouvait, les élus eux-mêmes. C’est surtout, me semble-t-il, par l’extension de l’église apparente que se réalise la montée de l’apostasie.
Infiltration
Comment en sommes-nous descendus à ce point et avec cette rapidité ? Ce serait, me semble-t-il, une explication insuffisante de tenir compte, uniquement, des théologiens hétérodoxes ou même du savoir-faire et de l’audace des novateurs forcenés. Il a fallu, en même temps, l’action ininterrompue de ces organismes occultes qui sont experts dans l’art redoutable d’orchestrer les mots d’ordre ambigus (sinon franchement hérétiques), qui les imposent peu à peu à des laïcs ou à des ecclésiastiques, qui font peser sans en avoir l’air une pression écrasante sur les autorités officielles. – Ainsi, prenons garde de ne pas oublier les Franc-Maçonneries de toute espèce et leur fonctionnement méthodique lorsque nous cherchons une explication suffisante de cette nouveauté apocalyptique des temps actuels : une Église apparente qui s’infiltre dans la véritable Église et tente de la supplanter. Nous parlons d’infiltration. Il s’agit en effet, de nos jours, d’une pénétration peu visible à un regard superficiel, peu apparente, insidieuse, plutôt que d’une persécution ouverte. A la suite des suggestions de Roca et de Saint-Yves d’Alveydre, les Franc-Maçonneries se préoccupent moins de combattre l’Église violemment que de lui enlever en douceur, et sous anesthésie préalable, ce qui la constitue en elle-même : la vie surnaturelle et la structure hiérarchique avec la primauté pontificale.
La prière du père Calmel
Pour achever ce florilège, et apercevoir, au-delà des combats qu’il mena si vaillamment, quelque chose de l’âme du père Calmel, voici une de ses prières.
Je sais bien, ô mon Dieu, que mes œuvres, mes luttes, mes écrits ne vous intéressent pas, et du reste, au fond, ils ne m’intéressent pas non plus ; vous ne voulez en eux que la preuve de ma foi, de ma confiance, de mon amour. Je veux vous les donner honnêtement accomplis, certes, mais je ne veux vous les donner qu’à ce titre de témoignage.
Mettez-moi sous le manteau de votre divine Mère tout près de son cœur ; qu’elle m’inspire, me soutienne et me garde, Seigneur Jésus, vrai Dieu et vrai homme, Prêtre souverain et éternel.
Amen.
[1] — Roger-Thomas Calmel O.P. « Le langage mou », Itinéraires 75 (juillet-août 1963), p. 76.
[2] — Roger-Thomas Calmel O.P. « Révélation divine sur l’histoire humaine », Itinéraires 73 (mai 1963), p. 135.
[3] — Rédigée à la fin de l’année 1970 et au début de l’année 1971, cette Apologie parut d’abord dans la revue Itinéraires, de mars à juillet 1971, puis en tiré à part à l’automne. L’édition définitive (mise au point par les religieuses de Brignoles) fut publiée en 1987 par Itinéraires et Difralivre.
[4] — Jérusalem qui est construite comme une cité, Ps 121, 3.
[5] — Dans le Christ Jésus, la Vierge Marie et l’Église du Christ (NDLR).
[6] — Les silencieux : allusion au mouvement Les Silencieux de l’Église, lancé par Pierre Debray, et qui voulait regrouper les catholiques conservateurs… dans la parfaite obéissance au pape ! (N.D.L.R.)